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PARTISANS ET TCHETNIKS



Mémoire transmis à Mr Ralph Stevenson, Ambassadeur du Royaume Uni auprès du Gouvernement Yougoslave en Exil, rédigé à la demande de ses services et remis le 3 novembre 1943 à Mr Božidar Purić, Président du Conseil des ministres du Gouvernement Yougoslave en Exil au Caire. Compte-rendu confidentiel.

Nos misères

Le Monténégro

L‘Herzégovine

Les confins de la Bosnie Occidentale, de la Lika et de la Dalmatie

Aperçu général

Ayant, dès le début, pris part à la lutte aux côtés de Mihajlovitch, jouissant de l’entière confiance de mon chef, j'estime pouvoir donner un aperçu du problème tel qu’il s'est posé à Mihajlovitch et à son entourage. Par conséquent, cet exposé, que ne corrobore aucun chiffre, aucune pièce à conviction ni aucun document utile n’aura de valeur qu'en fonction du crédit que l'on voudra accorder à la parole d’un officier de bonne foi. D’ailleurs, la question mérite un examen des plus consciencieux, car il ne faut pas se faire d’illusions, c’est l’existence de la Yougoslavie qui est en jeu en tant qu’entité serbo-croate et slovène.
Mihajlovitch s’est toujours considéré comme le représentant de l’armée régulière yougoslave. Lorsque je me suis présenté à lui, au mois de Juillet 1941, lui-même, ses officiers et ses soldats portaient tous la tenue règlementaire de l'armée yougoslave. Je me souviens avoir trouvé Mihajlovitch, dans un ravin nommé Ravna-Gora (montagne de Souvobor, région de Valjevo), dans une petite étable, en train de dicter une lettre au voïvode Kosta Pecanac, qui, à ce moment-là, devait se trouver dans les massifs du Kopaonik ou de Jastrebac. Je me souviens du texte de cette lettre qui débutait à peu près de la façon suivante: … “En ma qualité d’officier le plus ancien en grade sur le territoire de la Patrie, je vous enjoins de vous mettre immédiatement sous mes ordres et d’établir avec moi un contact étroit. En vertu des ordres antérieurs du Ministère de la Guerre, et de l’Etat-Major Général du Royaume, vous voudrez bien vous déplacer au plus vite en Serbie du sud, et gagner la région fixée par l’ordre précité en procédant immédiatement à l’organisation selon le plan qui suit…”
Mihajlovitch avait conservé un ordre du Ministère de la Guerre et de l’Etat-Major Général prévu dans l'éventualité de l’abandon du territoire par le gros de l’armée régulière. C’est en qualité d'ancien chef du Bureau des Opérations de l’Etat-Major de la Deuxième Armée Yougoslave que Mihajlovitch est entré en possession cet ordre qu’il avait soigneusement conservé. On y avait prévu l'organisation de la guérilla et consigné les directives générales. Un rôle spécial avait été dévolu aux Tchetniks de Pecanac et c’est à cette disposition précise que Mihajlovitch fit allusion dans sa lettre.
- Je rattacherai les Tchetniks et les éléments patriotiques de résistance à l’armée régulière, me disait Mihajlovitch, ainsi que ceux qui se nomment “armée de libération” ou “partisans”. Il n'y a que de Liotitch dont je ne veux pas entendre parler, ni des détachements qu’il est en train de former; celui-là est un traître.
Au cours de la conversation que j’eus avec Mihajlovitch il se déclara prêt à intégrer dans l’armée qu’il était en train d'organiser, les formations de partisans, qui, à ce moment-là, incendiaient les mairies, désarmaient les petits postes de gendarmerie et assassinaient tous ceux qu’ils affublaient du terme de “cinquième colonne” (c'est à dire certaines parmi les personnalités compromises dans la politique de Stojadinovitch mais aussi les prêtres, les moines ainsi que bon nombre de personnes jouissant d’un certain ascendant parmi la population paysanne : les maires ou les membres des conseils municipaux).
Les formations qui s’attachaient à Mihajlovitch se disaient “Tchetniks”. Mihajlovitch n’y vit aucun inconvénient. Les Tchetniks, étaient des volontaires, des irréguliers, auréolée par un passé glorieux ce qui les rendaient, à juste titre, fiers de cette dénomination. Antérieurement à la guerre en cours, les volontaires du nom de Tchetniks étaient considérés comme des auxiliaires précieux de notre armée régulière. C'étaient des spécialistes de la guérilla. Leur popularité était due, non seulement à leur grand courage mais aussi et surtout à leur caractère de protecteurs de la population en période de troubles. Après la dernière guerre, nos malheureux politiciens avaient suggéré l’idée d'introduire dans l’association Tchetnik, les jeunes patriotes, qui dès le temps de paix, se prépareraient au métier de Tchetnik. Une idéologie soi-disant tchetnik se forma. Immédiatement, une scission se fit ; les anciens tchetniks se séparèrent des jeunes, Pecanac s’étant mis à la tête de ces derniers. Les deux fractions n’étaient pas de valeur égale. On respectait les anciens mais on n’aimait pas les nouveaux, à cause de leur propension à la vantardise et de leur tendance à soutenir les prétentions dictatoriales de certains politiciens. Il y eut des excès fâcheux commis par des jeunes tchetniks, que les extrémistes croates relevèrent avec fracas. Ces critiques excessives tendaient à généraliser des faits condamnables en les imputant à l'ensemble des tchetniks ainsi qu'à tous les Serbes. Les jeunes tchetniks étaient cependant mal vus aussi bien en Serbie qu’en Croatie. Leur mouvement fut d’ailleurs peu important en Serbie ; à peine s’aperçut-on de la querelle, ce qui fait que la plupart des gens de chez nous continuait à considérer les tchetniks comme des “chevaliers sans peur et sans reproche”.
Au moment où Mihajlovitch s’appliquait à faire exécuter ses plans et à organiser le pays en régions territoriales militaires de recrutement, les unités indépendantes de Tchetniks existaient déjà. Mihajlovitch arrivait à se les rattacher sans grande difficulté. Il ne voulait pas déclencher le soulèvement avant que l’organisation conçue par lui ne fût achevée. L’ordre donné dans les villes et dans les districts aux organisateurs du mouvement était simple : les hommes âgés de 20 à 30 ans, formeront l’armée opérationnelle à laquelle se joindront les hommes de 30 à 40 ans, qui, jusqu’à nouvel ordre, formeront des équipes de sabotage et les hommes entre 40 et 50 ans formeront l’armée territoriale destinée à maintenir l’ordre dans le pays. A la tête de chaque commune, on place un commandant régional qui, jusqu’à nouvel ordre, sera sous le commandement du chef des opérations. On formera des compagnies de quinze à vingt hommes avec à leur tête, un sous-officier ou un paysan valeureux. Trois à quatre compagnies formeraient un bataillon, plusieurs bataillons une brigade qui à sa tête aura nécessairement un officier. Le commandant de brigade sera également commandant de district ou d’arrondissement. Une fois les brigades formées, on organisera des corps composés de plusieurs brigades. L’essentiel était de nous armer par tous les moyens, de constituer des entrepôts de munitions, et de maintenir un contact des plus serrés entre les hommes et les chefs. On devait également désigner plusieurs points de rassemblement tenus secrets et s’organiser de manière à ce que la mobilisation puisse se faire en quelques heures de temps. Les commandants de brigade formeront également, des petits détachements appelés “compagnies d’état-major”, qui serviront de protection aux commandants et qu’ils pourront employer pour toutes sortes de services : police, liaison, agents de propagande, etc.
Craignant qu’une occupation prolongée de l'ennemi, avec toutes les conséquences qui pourraient s’ensuivre, ne provoque, au moment de la débâcle de l'ennemi de trop violentes secousses, accompagnées de désordres et de troubles révolutionnaires, Mihajlovitch immédiatement avait formé les organes politiques consultatifs qui eurent pour mission la préparation de la restauration de la légalité dans le pays libéré.
Ayant pris une part active dans la rédaction du plan qui fixait les attributions de ces organes consultatifs, je suis à même de donner les explications relatives à ce travail.
Avant le mois de juillet 1941, c’est-à-dire avant de me mettre sous les ordres de Mihajlovitch, je m’étais volontairement replié dans les montagnes de la région de Rudnik où j’allais, de village en village pour encourager les gens et les aider de mes conseils. De temps à autre je descendais dans la petite ville de Gornji-Milanovac que les Allemands avait incendié quelque temps plus tard. Je suivais de très près les agissements ennemis et les réactions populaires. Je puis affirmer qu’à cette époque, aux mois d’avril, de mai et jusqu’au 20 Juin 1941, les communistes n’étaient pas inquiétés par les autorités allemandes. Mon frère, qui habitait Belgrade, était venu me voir et me disait que les communistes se promenaient tranquillement dans la capitale et qu'on avait même l’impression que les Allemands les ménageaient. Durant la guerre, c'est-à-dire tant que durèrent les opérations, je faisais partie de l’Etat-Major du Général Neditch, et je me souviens d'avoir lu de nombreux rapports dans lesquels les commandants subalternes se plaignaient de l’action défaitiste des communistes. Mais, lorsque éclata la guerre avec la Russie, l’attitude des communistes changea du tout au tout. Leur propagande continua à traiter les Anglais d’impérialistes, mais dorénavant la guerre perdit son caractère impérialiste grâce à l’entrée en scène de la Russie.
La région engobant les villes de Milanovac, de Cacak et de Kraljevo, où je me trouvais, comptait à peine une vingtaine de communistes. Il s'agissait essentiellement d'instituteurs des deux sexes et d'un certain nombre de cultivateurs ; ils se mirent néanmoins immédiatement au travail. D'ailleurs, ils n’eurent pas à surmonter des difficultés majeures grâce à la parfaite organisation des cellules du parti, maintenues en sommeil jusque là, et à l'ardeur de la population prête à se lancer au plus vite sur l’ennemi. J’ai assisté à certains meetings tenus par les instituteurs, parfois par des agents spécialement envoyés, où l'on disait que les Russes seraient en Serbie dans dix jours, que l’armée allemande était en déroute et que le moment était venu s’inspirant de l’exemple de nos pères et de nos grands-pères, qui, sous Karageorges et sous Miloch, se libérèrent du joug ottoman car ils avaient su choisir le moment opportun et s'étaient appuyés sur la Russie. Un jeune professeur communiste, que j’avais rencontré dans un village lors d'un meeting, m'avait tenu ces propos : … “Tous les partis politiques se sont mis d’accord pour confier la conduite du mouvement insurrectionnel au parti communiste, … il faut agir vite et par tous les moyens... la guerre est gagnée... les Russes nous envoient des renforts... le cauchemar tire à sa fin”.
Bien que l’organisation du général Mihajlovitch n’ait pas encore pénétré la région où je résidais à l'époque, d'instinct les paysans refusèrent de s’enrôler dans la nouvelle armée insurrectionnelle. Ils sentaient que le moment n’était pas venu et ils se méfiaient de ces patriotes de fraîche date. Les moins de 20 ans, cependant, s’engagèrent immédiatement. Personne ne les prenait au sérieux, et nul ne put imaginer à l'époque que cette jeunesse formerait un jour l’armée d’élite des Partisans. Ces jeunes gens exécutaient aveuglement et avec enthousiasme tous les ordres reçus. Aussi, Tito, s’étonna-t-il de l’extrême ardeur de cette jeunesse qui fournit aux communistes les égorgeurs les plus sanguinaires que l’on puisse imaginer. C’est au colonel Vasitch qu'en automne 1941 Tito fit cette observation lors d'une réunion à l'Etat Major du Général Mihajlovic. A l'époque Vasitch avait l’impression que Tito réprouvait nombre de crimes commis en automne 1941 par les détachements Partisans. Depuis, Tito a dû changer d’opinion, car dans un discours prononcé l’été dernier qui fut reproduit et diffusé, il prétendit que l'on ne devenait un véritable Partisan que lorsqu’on se sentait capable d’égorger froidement ses parents, frères et sœurs, voire son propre enfant.
Au commencement du soulèvement de l’automne 1941 je me trouvais dans les environs de Belgrade, aussi, ne sauras-je pas dire grand-chose de l’alliance conclue entre Mihajlovitch et les Partisans, alliance qui d’ailleurs ne dura pas longtemps. Tout ce que je puis dire, c’est que l’accord entre les Partisans et Mihajlovitch avait consacré une situation de fait : sur le terrain les chefs et les soldats s’étaient spontanément unis dans la lutte contre le Boche. De la même manière l’alliance elle aussi prit fin d'abord sur le terrain, puis dans les Etats-Majors ; Mihajlovitch m’avait dit un jour de l’hiver dernier, que s’il ne s’était pas séparé des communistes, tout son monde l’aurait abandonné. Néditch, que l'on exècre, avait été fortement soutenu par la quasi-totalité de la population dans la lutte qu’il avait engagée contre les communistes. Les détachements de Mihajlovitch, qui lors des combats avec les communistes, avaient rejoint l’armée de Néditch, une fois conjurée la menace communiste abandonnèrent Néditch et rallièrent à nouveau Mihajlovitch. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que les éléments intellectuels et libéraux des villes qui avant la guerre étaient proches des communistes, une fois la guerre déclarée, ne voulurent plus en entendre parler. C’était le cas, par exemple, des membres du parti républicain, que l'on situait plutôt à la gauche des socialistes. La majeure partie des républicains avait rejoint les organisations politiques de Mihajlovitch. Il en allait de même pour les hommes de gauche dans les autres partis. D’ailleurs, c’est aux hommes de gauche de Ilitch, et aux radicaux de gauche, c’est-à-dire aux démocrates authentiques, que Mihajlovitch eut recours dès le début et c’est principalement aux hommes de gauche qu’il confia l’organisation de ses différents comités. Lorsqu'on vient de quitter le pays, ce qui est mon cas, on est forcément étonné d’apprendre qu'à l'étranger Mihajlovitch est considéré comme étant de droite, réactionnaire, pan-serbe, etc. Arès les massacres perpétrés par les oustachis, Mihajlovitch a certes pu dire, dans un moment d’emportement, que Zagreb devrait être puni à coups de canon, mais pas un seul moment, il n’avait cessé de travailler à un rapprochement sincère avec les Croates. Je me souviens de ses instructions et des ordres donnés, où il faisait tout son possible pour établir un contact avec des personnalités éminentes du parti de Matchek, alors même qu’aucune initiative sérieuse n’avait jamais été entreprise du côté de Zagreb. Avant de prendre le commandement de nos détachements en Dalmatie, en Bosnie de l’Ouest et dans la Lika, Mihajlovitch m’avait donné des instructions extrêmement précises aux points de vue politique et militaire. J’avais reçu l’ordre et je l'ai scrupuleusement exécuté, de former un Comité Politique Yougoslave, dans lequel je m'efforçais de faire entrer des personnalités croates de marque et d'y adjoindre le strict minimum de représentants serbes, proportionnellement à la composition démographique de la population. J’avais reçu l’ordre de m’entendre avec les représentants de Matchek, en leur demandant que Matchek ou l’un de ses représentants mandatés se mette en contact direct avec Mihajlovitch, Mihajlovitch considérant que la Dalmatie était une province où l’idée yougoslave se maintenait dans sa pureté et où les Croates, constituant la majeure partie de la population, ne s'étaient pas rangés du côté des Oustachis lors de leurs massacres de serbes. Aussi, ces Croates-là, selon l’idée de Mihajlovitch, pourraient-ils utilement servir au rapprochement entre les serbes et les croates. J’ai pu constater l’exactitude de ses vues lorsque je me suis mis à les appliquer. En Dalmatie, parmi les Croates, seuls les prêtres catholiques semblaient être hostiles à Mihajlovitch. Ils ne s'étaient jamais explicitement prononcés contre lui mais leur hostilité ne faisait pas de doute et bon nombre de couvents servirent aux oustachis de lieux de réunions et de dépôts clandestins d’armes et de munitions. Aussi, bon nombre d'amis catholiques, me déconseillèrent-t-ils d’aller voir l’évêque de Split, dont ils déploraient la faiblesse, et qui, en fait, n’eut aucun pouvoir sur le clergé oustachi. Tous les autres Croates, ceux de Matchek y compris, m’appuyèrent de leur mieux. En l'absence d'une autorisation spéciale de Zagreb, les partisans de Matchek ne rentrèrent pas dans le Comité Patriotique Yougoslave que j’avais formé. Mais, puisqu’ils me soutenaient de même que les démocrates indépendants, je n’eus pas à m’en plaindre. D’ailleurs, j’avais l’impression que les membres de mon Comité étaient à l’abri de tout reproche moral et politique.
Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, le mouvement Tchetnik, à ses débuts, n'était pas un mouvement unifié. Cependant, tout mouvement Tchetnik prétendait relever de l’autorité du chef militaire suprême, Mihajlovitch. Si le soulèvement prématuré de l’automne 1941 n'avait pas eu lieu, Mihajlovitch aurait eu le temps de créer une organisation uniforme dans tout le pays y compris à Zagreb. Mais l’action communiste, avec ses slogans équivoques, introduisit le trouble dans les esprits. L’action des partisans étant calquée sur le modèle bolchevique, contribua fortement à brouiller les esprits. Les Partisans, faisaient tantôt une propagande ultranationaliste, tantôt passaient sous silence leur projet de gouvernement futur, éludaient la question oustachi etc. Dans les régions où les Serbes étaient massacrés par les Oustachis ainsi que par les Musulmans de Bosnie, les Partisans accueillaient dans leurs rangs d’anciens égorgeurs oustachis et formaient des brigades composées de criminels notoires de confession musulmane. Présumant un attachement des Serbes à l'égard de la dynastie et des Alliés de la Première Guerre, craignant que cet attachement ne compromette leur dessein final, les communistes firent leur possible pour affaiblir et compromettre l'action des serbes en faveur des alliés. En Croatie, et dans les régions habitées par les Croates, ils menaient une politique pro-croate (la déclaration de Plitvice de l’été dernier) et ils accueillaient dans leurs rangs des officiers oustachis notoires. Dans les régions habitées par les Serbes, leur propagande passait sous silence tout ce qui aurait pu contribuer au réchauffement de l’amitié avec les anglo-saxons, ils allèrent même jusqu’à traiter les Anglais et les Américains de corrupteurs qui, sous couvert d’un rétablissement désintéressé de l'économie du pays, une fois la guerre terminée allaient nous asservir. Pour tous ceux qui ont vécu sur le terrain, la différence principale entre les Partisans et les Tchetniks porte sur les trois points suivants:

1 - En matière de politique étrangère, les Tchetniks étaient partisans d’un appui inconditionnel des Démocraties occidentales, et, en premier lieu, de l’Angleterre. La place, auparavant tenue par la France, l’était maintenant par l’Angleterre, aussi, si les Anglais mettaient un peu de romantisme dans leur propagande, l'opinion actuelle favorable à l’Angleterre, se serait quasiment transformée en délire. Les Partisans, au contraire, ne veulent entendre parler que de la Russie soviétique. Leur attitude vis-à-vis des autres Alliés est calquée sur l’attitude soviétique à leur égard. Mihajlovitch doit une grande part de sa popularité au fait qu’il se déclare, en toute circonstance, l'allié fidèle de l’Angleterre. Ceci ne veut pas dire que Mihajlovitch est anti-russe; bien au contraire. Chez nous on aime la Russie, qu’elle soit tsariste ou bolchevique. C’est la “grande sœur slave”. Ce dont on ne veut pas, c’est du réalisme-socialiste anti-slave et bolcheviste, du cynisme qui ne tient aucun compte de la logique et des sentiments. Nous ne voulons pas faire partie de l’U.R.S.S., ce que désirent les communistes yougoslaves, nous voulons notre indépendance. Nous ne faisons pas cette guerre pour des raisons matérielles, égoïstes ou idéologiques, mais pour conserver notre indépendance et préserver notre honneur. Ces objectifs-là sont étrangers aux communistes, qui, avant le 20 Juin 1941, étaient hostiles à la guerre que nous menions comme si notre honneur et notre indépendance ne méritaient pas ce sacrifice.

2 - En matière de politique intérieure. Les Partisans souhaitent l’instauration d'un régime bolchevique. C’est par la force qu’ils pensent pouvoir l’implanter. Ils l’ont prouvé, toutes les fois qu'ils sont parvenus à se rendre maîtres d’une région. Les “Politkoms” (commissaires politiques) attachés à chaque unité de partisans appliquaient, dès leur arrivée au pouvoir dans une région conquise, les préceptes révolutionnaires d'abord puis, dans un deuxième temps les formules politiques et économiques. La terreur s'installait ainsi sous les dehors de la légalité.
Mihajlovitch, au contraire, estime que c’est au peuple de décider de la forme du Gouvernement. Personnellement, Mihajlovitch ne trouverait rien à redire à une réforme de l'économie et de la société, y compris par les partisans, mais ce qu‘il abhorre, c’est la formule politique bolcheviste : la dictature. Il trouve que notre peuple n’a pas mérité une telle dégradation. En la matière, d'ailleurs, Mihajlovitch ne fait qu’exprimer la volonté générale du pays. Si l’on s’imagine qu’il agit toujours selon sa volonté cela voudrait dire qu'on ne l'a pas compris. Avant tout il faut se rendre compte qu'il vit étroitement au contact de la population. Ceci l'oblige à tenir compte des tendances, des penchants et des opinions arrêtées de cette population.

3 - Pour ce qui est de la question yougoslave et des rapports entre les serbes et les croates tout le monde pensait qu'après les massacres des populations serbes par les oustachis de 1941, c'en serait fini de la Yougoslavie. En l’absence de toute protestation de la part des Croates en cette circonstance, on était forcé d’admettre que les Croates, dans leur ensemble, étaient solidaires de Pavélitch. En juin 1941, le jour de la fête de Vidovdan, l’archevêque de Zagreb a fait dire une messe solennelle dans la Cathédrale de la Capitale croate puis s’est rendu avec pompe, après la messe, présenter ses hommages de fidélité au Poglavnik. Ce jour là, cent mille Serbes furent massacrés. Ni Matchek, ni aucun leader politique et pas un seul citoyen Croate n'avaient émis durant ces jours la moindre protestation. Devant l’afflux des réfugiés qui arrivaient quasiment nus des régions occupées par les Croates, les Serbes de Serbie qui les accueillirent et qui entendirent les récits d'innombrables atrocités rapportés par ces pauvres gens, se dirent, qu’en vérité, il en était fini de la Yougoslavie et que, autrement plus importante et seule, se posait dorénavant la question de la survie des serbes et de la Serbie.
Mihajlovitch envoya des capitaines en Bosnie dans le but d'organiser et d'armer les masses serbes qui avaient gagné les forêts. Il le fit sous le drapeau yougoslave. Malgré tout et contre presque tous, il demeura le chef de l'armée yougoslave. Sa popularité en souffrit à cause de cela pendant un certain temps. Les Serbes du “Preko” (originaires des régions n’ayant pas fait partie de l’ancien Royaume de Serbie), allèrent jusqu’à dire: “Puisque les Serbes de Serbie ne veulent pas de nous et nous sacrifient aux Croates, nous formerons séparément un nouvel Etat Serbe ”.
Il serait intéressant de rapprocher cette thèse de celle préconisée par les communistes, qui, adoptant la thèse pro-croate avaient projeté de diviser la Nation serbe en fractions : monténégrine, bosniaque, herzégovinienne, macédonienne et autres.
Mihajlovitch étant foncièrement attaché à l’idée yougoslave, si cette idée triomphait finalement, cela serait pour une grande part, grâce à lui. Pendant très longtemps, et jusqu'à une époque très récente, Mihajlovitch se berçait de l’illusion qu’il pourrait rattacher à son mouvement les Yougoslaves de Bulgarie, soulever les Balkans, et faire intégrer les Bulgares dans une Yougoslavie les englobant. J’ai vu plus d’un de ses émissaires envoyés chez des Bulgares de renom. Il est longtemps resté en rapports avec un général bulgare dont le nom m’échappe ainsi qu'avec un délégué du parti agrarien bulgare résidant à Belgrade. J'avais été témoin d’un grand nombre de démarches faites par Mihajlovitch afin de rallier le plus intimement possible les gens de Zagreb. Parmi les instructions qu’il m’a données lors de mon départ pour la Dalmatie, il en avait une qui avait trait aux Domobrans (armée régulière croate). Bien que les Domobrans fussent constitués, pour ce qui est de leurs cadres, par les anciens officiers et sous-officiers de l'armée yougoslave régulière, dont certains étaient susceptibles d'être poursuivis pour trahison suite aux faits commis lors de l'invasion allemande en 1941, Mihajlovitch m’ordonna d’entrer en contact avec eux et de promettre aux unité qui se rallieraient à l’armée yougoslave, une autonomie complète à l'exclusion des opérations contre l’ennemi. Il promettait au représentant de l'armée Domobran une place de première importance dans son Etat-Major, il était également prêt à constituer des comités politiques serbo-croates sur un pied d'égalité absolue.
Pour ce qui est de la réparation due aux victimes de la fureur oustachi, Mihajlovitch se faisait fort d’empêcher la vengeance collective. Dans les régions les plus éprouvées, il en était beaucoup question. On avait prétendu que c’était une question de justice mais aussi de sagesse politique visant au rétablissement d'une sorte d'équité. C’est uniquement grâce à l’ascendant dont jouit Mihajlovitch chez les Serbes, qu’il ne fut plus question de vengeance collective. Néanmoins, Mihajlovitch se déclara en faveur d’une réparation des torts commis et d’un jugement impitoyable contre tous ceux qui s'étaient rendus coupables de crimes à l'encontre des populations civiles serbes. Il estima que les Oustachis ne pourraient se racheter, y compris en se ralliant à nos armées, pas plus que les domobrans qui nous avaient combattus ou qui avaient combattu nos Alliés, et y compris ceux qui ultérieurement avaient rejoint nos rangs.

Je souhaiterai maintenant dire quelques mots sur l’attitude des partis politiques à l'égard des deux mouvements. Le pays est rassasié des politiciens, et la majeure partie de la population, surtout dans les campagnes, ne veut plus en entendre parler. En 1941, après notre défaite, Mihajlovitch ainsi que les Partisans, ne se rendait pas très bien comte de ce fait. Aussi, bon nombre de portes-paroles des partisans prétendaient-ils que les partis politiques, dans leur ensemble, s'étaient entendus et avaient constitué un Comité Directeur avec, à sa tête, des représentants communistes (assertion répétée à plusieurs reprises et que j'ai personnellement entendue de la bouche des représentants des partisans dans la région de Rudnik et de Cacak). Les paysans s’imaginèrent alors que le terme “Partisan” était utilisé pour signifier le pluripartisme du mouvement. Mihajlovitch, de son côté, souhaitait la constitution de comités représentant la totalité des partis politiques. Au mois de juillet 1941, lorsqu'il m’avait demandé de former un Comité Central à Belgrade, il m’avait dit :
"Le coup d’Etat du 27 mars avait été approuvé par l'ensemble des Serbes sans distinction de partis. Devant cette unanimité, le parti de Matchek ne peut faire autrement que de s’y rattacher. Aussi, le Gouvernement Simovitch est constitué, me semble-t-il, par les représentants de l'ensemble des partis politiques. Vous tâcherez de composer notre Comité à l’image du Gouvernement Simovitch, et d'attribuer les postes aux représentants des différents partis en proportion de leur représentation dans le Gouvernement. Ceci accompli, vous enverrez immédiatement une personne autorisée en Croatie puis en Slovénie, afin d'élargir le Comité ou bien de constituer des comités analogues à Zagreb et à Ljubljana ; ceux-ci pourraient alors être reliés soit directement à mon Etat-Major soit à mon délégué à Belgrade."
Les hommes politiques néanmoins, cherchèrent à se mettre directement en rapport avec Mihajlovitch et ce dans le but d'acquérir le monopole d’influence à leur profit. Nous dûmes procéder à la formation de ce comité en choisissant nos collaborateurs selon d'autres critères tels : leur notoriété, leur patriotisme désintéressé et leurs aptitudes "techniques". Dans la pratique cette sélection, sans distinction de partis, se montra excellente et ce d'autant que la population n’avait plus foi dans les critères politiques. En consultant la liste des membres des organisations de direction du parti communiste, telle qu'elle fut publiée, on s'aperçoit clairement qu'aucun des anciens hommes politiques, non plus, n'y figurait. Néanmoins, alors les membres de nos organismes étaient issus de la totalité des partis, ceux des partisans étaient tous communistes. Il est, certes, vrai que Monsieur Ribar père fut autrefois "démocrate" mais il s’était, néanmoins, converti au communisme depuis. La même observation s’applique aux ex membres des partis agrarien et démocrate, dont la notoriété était moindre, mais qui s'étaient tous, comme M. Ribar, convertis au communisme.
On avait considéré, pendant longtemps, que Mihajlovitch avait des attaches particulières avec le parti agrarien car bon nombre d’agrariens lui avaient prêté leur concours de manière appréciable et ce dès le début. L'apport des agrariens fut néanmoins conditionné par Mihajlovitch en fonction de leur valeur personnelle sans tenir aucun compte de leurs ambitions secrètes.
Lorsque furent mises au jour quelques intrigues mineures, une fois leur influence supprimée, les politiciens en question s’imaginèrent être devenus, à leur tour, victimes d'intrigues et de jeux d'influences de toutes sortes. Il n’en fut cependant rien. Mihajlovitch était fermement opposé à la politique des partis ; il restait fortement attaché aux principes politiques tels qu'ils furent exprimés par Aristote à savoir : placer le bien public au-dessus de tout et de tous. Il considérait que c’est seulement une fois la guerre terminée que le pays aurait à se prononcer sur sa constitution politique.
Au printemps 1942, j'avais pu constater qu'à Belgrade, tous les partis, sans distinction, approuvaient Mihajlovitch.
Il y a eu, à cette époque, un groupe d'hommes politiques respectables qui s’étaient constitués en Comité pour travailler sérieusement sur des problèmes économiques, politiques et sociaux. Le Comité avait fait ce travail pour Mihajlovitch, les auteurs s’imaginaient que personne d'autre ne pouvait en être chargé. J’avais examiné plusieurs dossiers préparés par ces Messieurs. Ils étaient fort intéressants mais malheureusement la plupart perdaient toute crédibilité à la lecture de leurs conclusions où transparaissait le souhait d’être appelés au pouvoir.

Nos misères

Il en est qui sont communes aux Partisans et aux Tchetniks, et il en est d’autres qui nous sont propres. Puisque celles des communistes me sont inconnues (ils doivent en avoir eux aussi), je ne parlerai que des nôtres.
Ce sont les Serbes qui ont accompli le coup d’Etat du 27 mars. Ce sont les Serbes, qui, durant cette guerre, se sont battus, ce sont encore les Serbes qui après la défaite se sont soulevés et se battent encore toujours. C’est, par conséquent, un Serbe qui est à la tête du mouvement, et c’est naturellement avec les Serbes qu’il a entamé le travail politique. Et c’est là que réside notre point faible, car nous sommes aussi yougoslaves, Nous souhaitons rétablir la Yougoslavie en mettant à profit nos erreurs et nos anciens péchés afin de mériter un avenir meilleur. Nous avons l’impression que les Croates les mieux intentionnés (même eux) voient dans ces faits sinon des intentions, du moins des éléments constitutifs d'une l’hégémonie serbe. Nous avons du mal à convaincre que nous n'avons absolument pas cette ambition-là. Des fautes avaient été commises par certains de nos chefs, dont les agissements avaient échappé au contrôle de Mihajlovitch. Nous les avons corrigées, mais certaines déclarations malheureuses amplifiées par la propagande adverse restent présentes dans les mémoires, particulièrement à l’étranger.
Le fait que Mihajlovitch soit militaire de carrière amena certains à prétendre qu’il devait forcément être enclin à la dictature militaire. Cette hypothèse n’a plus cours dans le pays et ce depuis longtemps. Je me suis rendu compte qu’il n’en était pas de même ici, à l’étranger.
Les deux hypothèses sont dénuées de tout fondement, aussi, n’ai-je pas besoin de les combattre. Le moment est proche où les faits parleront d’eux-mêmes. Les maux inhérents à la misère des temps ne mériteraient même pas d’être mentionnés, si ne venaient s’y ajouter l’incompréhension de nos Amis et Alliés. C’est cette incompréhension qui nous a fait tant de mal, moins pour des raisons morales que par les conséquences qu'elle engendre, qui elles sont matérielles et résultent de l'ignorance de la situation réelle sur le terrain d'une part et de la propagande alliée qui va à l'encontre de notre but commun dont elle compromet la réalisation d'autre part.
Si je comprends bien, le véritable but poursuivi par la propagande diffusée par Radio-Londres (qui par son caractère officiel reflète, pour bon nombre de ses auditeurs, l’opinion de nos alliés), serait d'atténuer le fossé creusé entre Serbes et Croates par les Oustachis, d'imposer une Yougoslavie égalitaire et démocratique, et de rendre le pays prospère et heureux. Or, c’est à un effet contraire que cette propagande aboutit.
Bien avant le début de la guerre dans les Balkans la Radio Londres avait gagné la confiance du public serbe. Elle avait continué l’œuvre commencée par Radio-Paris et c'est grâce à son appui moral qui avait soutenu nos espoirs que nous avions engagé le combat contre l'ennemi, fiers de nos alliés. A cette époque Zagreb y voyait, outre la poursuite de la politique de l'ancien Royaume de Serbie, le risque d'une hégémonie serbe au sein de l'état yougoslave. Les Serbes, quant à eux, étaient convaincus qu’ils agissaient dans l’intérêt du pays tout entier et ils assumèrent la responsabilité de l’entrée dans cette guerre. On connaît les réactions de Zagreb : l’entrée à contre-cœur de Matchek dans le Gouvernement du général Simovitch, le passage des formations du même Matchek (seljacka zaštita et autres) aux Oustachis et ce dès la déclaration de la guerre, le massacre des populations serbes par les oustachis dans le silence total de l'ensemble de la nation croate sans exception aucune, l'enrôlement de la quasi-totalité des officiers croates de l’ancienne armée yougoslave dans la nouvelle armée constituée sous les auspices de l’ennemi et sa participation effective sur le front russe aux côtés des allemands, etc.
Nous pouvions comprendre que, dans les capitales alliées, on avait passé sous silence, bon nombre de ces méfaits dans le but de sauvegarder notre unité nationale mais il nous est difficile de comprendre que pas un seul des ministres et hommes politiques croates de l'émigration n’ait proféré la moindre parole de compassion et d’amitié à l'égard du peuple serbe. Enfin, nous ne comprenons absolument pas qu’au lieu de traiter les Serbes d’une manière égale à celle dont sont traités nos concitoyens croates, nos alliées donnent l'impression de condamner les Serbes et d'accorder leurs faveurs aux Croates. Ce changement de traitement s’est installé progressivement, il avait débuté par des futilités. Par exemple, aucun des speakers de la Radio de Londres n'était serbe comme ce fut le cas à Radio Paris. J'en parle non pour y voir le mal, mais pour la simple raison que bon nombre de mots de l'idiome croate qu'ils utilisaient n'étaient pas compris par les auditeurs serbes, nombreux dans les campagnes et malgré le fait que ceux-ci finirent à la longue d'en saisir le sens. Tout ceci, alors que dans le pays la quasi-totalité des Serbes écoute Radio Londres, alors que, dans les provinces croates, celle-ci est un sujet permanent de moquerie. Certaines de nos gens tiennent le propos suivant ; Londres a raison, elle n’a nul besoin de gagner notre amitié qui lui est acquise, alors qu'elle doit gagner celle des Croates. Plus difficile à comprendre est l'usage fait par la Radio Londres de la nouvelle sémantique croate inconnue dans la Croatie d'avant la guerre et qui fut introduite par Pavelitch puis adoptée par les hommes politiques croates de l'émigration! Aussi le mot radio fut-il remplacé par "krugoval" traduction littérale du mot rundfunckt allemand, baterija (pile) par bitnica etc. etc.
Les journaux croates qui diffusent la nouvelle terminologie ne doivent pas être mécontents que Londres l’ait adopté aussi rapidement. Des croates m’ont dit : l’avènement de Pavélitch fut le prolongement naturel de toute la politique croate de Matchek et l’avènement de Matchek après la guerre sera le prolongement naturel de la politique actuelle de Pavélitch. Il serait fastidieux, inutile, voire dangereux, de traiter de ce sujet à l'heure actuelle. Je souhaite m’en tenir uniquement aux faits, avec l’intention de faire tout le possible pour nous en sortir de la situation périlleuse dans laquelle nous nous trouvons à l'heure actuelle et d'éviter si faire ce peut de nous embourber encore d’avantage.

Il est vrai que la Radio de Londres est toujours écoutée dans les régions habitées par les Serbes mais il n'en demeure pas moins qu'elle a perdu une part de sa crédibilité. J’ai souvent écouté les émissions de radio Londres dans les petits bourgs où on plaçait des sentinelles à l'heure de l'émission (car plus d’un Serbe avait été fusillé pour l’avoir écoutée), l’écoute était simplement interrompue après les communiqués officiels, pour ne pas entendre les commentaires blessants qui s’en suivaient. Ce qu’il y a de vexant, c’est que depuis quelques temps déjà, les gens qui écoutent Radio de Londres ne sont plus inquiétés par les autorités d’occupation. Bien plus, je garde le souvenir de deux discours de Néditch, où il disait: “Je vous invite à écouter Radio Londres!”
On sent dans le pays que les hommes politiques croates émigrés soutiennent les Partisans. On a l'impression que dans leurs discours radiodiffusés les politiciens serbes éprouvent de la gêne à prononcer le nom de Mihajlovitch alors que les politiciens croates ne le mentionnent même plus. Lorsque l’ancien panégyriste oustachi Nazor rejoint les communistes, Monsieur Vilder et les autres personnalités croates réfugiées à Londres, ne cessèrent, une semaine durant, d’exalter les mérites de ce “grand Croate”. Pour ne pas avoir à m’attarder plus longtemps sur ce sujet, je dirai que la propagande radiophonique a abouti à faire croire que le mouvement partisan était une manière élégante de faire du pan-croatisme ou en tous cas, de l’anti-serbisme. Dans tout le pays serbe on croit de plus en plus qu’on ne veut pas d’un Mihajlovitch yougoslave mais d’un Mihajlovitch petit-serbe. Aussi, veut-on faire croire que les Croates contribuent à la victoire dans une proportion qui surpasse celle de Mihajlovitch, c’est-à-dire des Serbes. Les Partisans s’en étant aperçus, ils insistent, depuis un certain temps, aussi bien dans leurs discours qu'à travers leurs tracts, que les Serbes sont majoritaires dans leur mouvement. Cela n’est d’ailleurs vrai que pour les unités de choc.
C’est ainsi que la propagande et l’attitude ambiguë de nos gouvernants de l’émigration aboutissent à creuser d’avantage le fossé qui sépare les Serbes et les Croates. Aussi, dans le pays, les Serbes se sentent t'ils complètement abandonnés et placent-ils tous leurs espoirs dans leur ”Tchitcha” (le Vieux) sobriquet du général Mihajlovitch. Ils sentent qu’on s’ingénie à les séparer de lui, et, en face du danger mortel, se rassemblent évidemment davantage autour de lui. Un vieux paysan de la Choumadia m’avait dit l’hiver dernier : «Tchitcha devrait entrer dans les vues des Alliés qui ne veulent plus de la Yougoslavie. Peut-être voient-ils plus clair que nous, peut-être serions-nous plus heureux dans une Serbie homogène. Et si cela non plus ne contentait pas les Alliés, s'ils souhaitent une Serbie communiste, et bien nous n'aurions qu'à continuer à vivre dans les refuges et dans les bois, comme au temps des Turcs“.
La question que je viens seulement d'aborder mérite d'être étudiée de manière consciencieuse, aussi, exige-t-elle une solution rapide, car, au lieu de susciter la concorde, on attise, sans s'en rendre bien compte, une guerre civile qui sera pire que celle que nous subissons en ce moment et dont nos Alliés seraient en bonne partie responsables devant l'histoire. La situation est d'autant plus grave que la conduite de la politique des alliés n'est pas fondée sur une connaissance exacte des faits, et qu'elle est, de plus, injuste.
Les Serbes ne sont pas des lâches, et ce n'est pas par des voies détournées, mais en face et avec netteté qu'il faut leur dire ce qu'on va leur demander encore. Ils répondront alors franchement si cela est possible ou non.

Parmi les reproches faits à Mihajlovitch il en est un qui semble fondé, bien que personnellement, il soit à l'abri du moindre reproche à ce titre. C'est celui de la „collaboration“.
Lorsque, en automne 1941, Néditch avait formé son gouvernement et qu'il avait appelé les officiers serbes (prisonniers de guerre en congé provisoire) à le rejoindre, Mihajlovitch avait ordonné à la plupart d'entre eux de répondre à cet appel, tout en maintenant un contact avec lui. Je connais quantités de ces officiers qui furent malheureux d'avoir à exécuter un tel ordre car ils se sentaient méprisés et rabaissés par la plupart de leurs concitoyens. Ainsi cela permit à Mihajlovitch d'obtenir de leur part armes, munitions, faux-papiers, laissez-passés, saufs-conduits pour ses formations clandestines, de bénéficier de renseignements précieux etc. Bon nombre de ces officiers, soi-disant passés à Néditch, n'ont pas su ni voulu tenir leur rôle jusqu'au bout, se rangèrent du côté des irréguliers de Mihajlovitch avec leurs détachements et participèrent aux combats engagés contre l'ennemi. Aussi les Allemands réagirent t'ils avec rapidité. Des officiers furent, désarmés par surprise, capturés et emprisonnés; bon nombre de détachements passèrent alors à Mihajlovitch, mais sans fusils et sans leurs uniformes. Je pense que parmi les officiers qui avaient rejoint l'armée de Néditch en 1941 il ne doit plus en rester plus de deux en place. La totalité des formations militaires du général Néditch furent, plus d'une fois, dissoutes et reconstitués par les Allemands ; à chaque fois selon un modèle différent. La même histoire se répéta régulièrement : une fois dissoutes les unités se mettaient sous l'autorité de Mihajlovitch. Je crois que cinq équipes d'officiers se sont succédées puis faites prisonniers. Aussi, n'y a-t-il plus d'officiers prisonniers de guerre en congé provisoire. Ils ont été tous renvoyés dans les camps. Ce type de „collaboration“ avait été longtemps condamnée dans le pays, mais vint le temps où l'on n'en fit plus cas, parce qu'on sut qu'elle était approuvée par Mihajlovitch. Plus tard, lorsqu'on se rendit compte que les formations de Néditch étaient, en vérité, à la disposition de Mihajlovitch, les enrôlements dans l'armée de Néditch augmentèrent et il y eut plus de candidats que de places. On rejoignait à l'époque un détachement afin d'obtenir un fusil et des munitions ; après quoi on passait immédiatement la Drina pour se rendre dans les forêts de Bosnie pour combattre les Allemands, les Oustachis, les Musulmans, les partisans et d'une manière générale tous ceux qui pourchassaient et massacraient les populations serbes.
A l'heure actuelle, tout le monde en Serbie est conscient qu'au moment opportun, choisi par Mihajlovitch, l'armée Néditch va le suivre et qu'elle fera ce qu'on lui demandera de faire, car la totalité de cette armée, à l'exception d'un général et de deux colonels, se tient à la disposition de Mihajlovitch.
Il est une autre forme de „collaboration“ qui a souvent été critiquée, car n'ayant pas été étant mise en place par Mihajlovitch, elle n'a pu fonctionner comme celle dont il vient d'être question. Il s'agit de la „collaboration“ dans les régions occupées par les Italiens.
La question de la collaboration n'a pu être traitée de la même manière dans l'ensemble des territoires occupés par l'armée italienne. Les raisons qui avaient abouti à la collaboration diffèrent d'une région à l'autre, les régimes mis en place par l'occupant diffèrent, de même, selon les provinces et en fonction des objectifs politiques de l'ennemi. La seule constatation d'ordre général que l'on puisse faire, c'est qu'il y a eu „collaboration“ à proprement parler dans les régions dites „passives“, c'est-à-dire dans celles qui, de par elles-mêmes, n'arrivaient pas à subvenir aux besoins vitaux essentiels de la population. En Bosnie Orientale et dans le Sandzak de Novi-Bazar, il n'y avait jamais eu de „collaboration“, car la population de ces régions avait pu subvenir à ses besoins soit par ses propres moyens soit en s'appuyant sur la Serbie.
Les considérations d'un ordre fondamentalement différent s'appliquent aux régions où les Serbes furent poursuivis, traqués, massacrés et leurs villages incendiés par les Oustachis croates, par les Hongrois, par les Musulmans, par les Albanais et par les Bulgares d'une part et aussi dans celles ou ils furent poursuivis par les Allemands et par les Italiens. Ces derniers les poursuivaient en tant qu'ennemis alors que les premiers les exterminaient parce qu'ils étaient serbes.

Le Monténégro

Pour bien comprendre la situation au Monténégro, il faut connaître, outre la structure du pays, les rapports existant entre les clans et les différents partis politiques dans ce pays. Je manque de connaissances approfondies et de compétence en la matière, mais je discerne tout de même, grosso-modo, la situation et les problèmes tels qu'ils se posent actuellement au Monténégro.
L’union entre le Monténégro et la Serbie avait été proclamée à la fin de la dernière guerre, par une assemblée populaire qui avait voté en faveur de l'union à une majorité écrasante des voix. "Bjelaši" (les Blancs), partisans de l'union, restent encore majoritaires au Monténégro, alors que les partisans de la dynastie Petrovitch, les séparatistes appelés les “Verts” (Zelenaši), très combatifs et obstinés lui sont restés fidèles et forment une minorité farouche. Ce dernier parti s'est toujours appuyé sur l’Italie qu’ils appelaient ”La Tante”, par référence à la reine Hélène, épouse du roi Victor Emmanuel III et fille du Roi Nikola de Monténégro. Autant du point de vue politique que du point de vue économique, on peut diviser le Monténégro en deux parties distinctes : le Monténégro septentrional, au nord de la ligne Nikšic-Podgorica, et celui du sud situé au sud de cette ligne. La partie méridionale est dénudée, pauvre, dispose de peu de bétail et accuse un retard du point de vue économique. C’est la région des “zelenaši” (les Verts) où la Dynastie des Petrovitch avait exercé son pouvoir de manière plus directe que dans la partie septentrionale du pays. Le nord du Monténégro, plus riche, arrive par lui même à subvenir à ses besoins, ce qui s'est vérifié durant la guerre.
La coupure entre les deux régions du Montenégro est un fait fondamental qui a déterminé des types de collaboration différents : dans le nord où les Tchetniks étaient presque entièrement indépendants et dans le sud où ce n'était pas le cas.
Outre les différences d'ordre économique et d'ordre politique, mentionnées ci-dessus, il faut tenir compte des mœurs d'un pays où la vendetta a encore cours et où la haine entre les "blancs" dans le nord et les "verts", auxquels se sont ralliés les communistes, dans le sud, demeure vivace. Cet état de faits imposa des alliances de circonstance.
Il n’y a pas de villages ni de districts nettement Rouge, Blanc ou Vert ; c’est dans le même village et au sein d'un même district que cohabitent, telle une mosaïque, Blancs, Verts et Rouges. Lorsqu'un ennemi politique est tué, la vendetta fonctionne de la même manière sans aucune considération d'ordre politique. Lorsque, en temps de paix, les conflits familiaux ou héréditaires devenaient par trop sanglants et que la trêve ne pouvait être établie, on s’adressait aux autorités civiles pour demander une protection. Après les terribles effusions de sang de l’été 1941 et la répression particulièrement brutale et meurtrière exercée par l’armée italienne, nombreux furent ceux qui demandèrent l'aide aux autorités d’occupation, aide que celles-ci avait fini par leur accorder. Il est à remarquer que ce sont surtout les villages proches des places de garnisons Italiennes et des voies de communication principales, c’est-à-dire les villages exposés à la vindicte des expéditions punitives Italiennes, qui, les premiers, avaient demandé aux communistes de ne plus exposer leurs familles et leurs demeures à la répression. Les communistes ne voulurent rien savoir et firent exécuter ceux qui refusaient de scier un poteau télégraphique ou de commettre un quelconque sabotage, susceptible d'entraîner une répression, souvent disproportionnée par rapport au sabotage accompli, de la part de l'ennemi. Ce sont ces villageois-là qui, les premiers, s'étaient révolté contre les communistes, et qui, les premiers, avaient reçu des armes et des munitions des Italiens.
Il y a eu au Monténégro deux soulèvements contre l’ennemi. Le premier a débuté dans les régions méridionales le 13 juillet 1941 ; il avait été organisé par les agents communistes. Toutes les régions méridionales du Monténégro, sans distinction de parti, y avaient pris part. Au début, les communistes qui avaient dirigé le mouvement, n'avaient pas fait de prosélytisme, aussi le soulèvement eut-il d'abord l'allure d'une libération nationale. Les Italiens, qui avaient de fortes garnisons, réprimèrent rapidement le mouvement. La répression fut extrêmement brutale; les Italiens employèrent tous les moyens: exécutions en masses, incendies des bourgs et des villages, déportations, etc. Au bout de dix jours, fut conclu un Armistice, les “Zelenaši” redevinrent les auxiliaires fidèles de leur protectrice, les communistes restèrent fidèles à leurs alliés “Verts”, et le sont demeurés jusqu'à ce jour. Grâce à la protection dont jouissaient les “Verts” auprès des autorités Italiennes, certaines régions du sud servirent de refuge aux communistes qui n'y furent pas trop inquiétés. Comparativement aux “Blancs”, c’est-à-dire aux partisans de l’union yougoslave, les “Rouges” et les “Verts” représentaient une minorité à la fois combative et révolutionnaire.
Durant le soulèvement du mois de juillet, les régions septentrionales furent peu actives, car l'on estimait que le moment était mal choisi et que l’action était prématurée. Néanmoins, dans un pays où une telle passivité risquait d‘être prise pour de la lâcheté, un second soulèvement, nettement plus important que le premier, fut déclenché en août 1941. L'épicentre du soulèvement se situait d'abord dans les régions septentrionales mais il engloba rapidement la totalité du Monténégro. Les communistes, dynamiques et agiles, se trouvaient, cette fois-ci encore, à la tête du mouvement, néanmoins les régions septentrionales du Monténégro étant fortement nationalistes et loyales à l'égard de la Yougoslavie, les communistes se firent, cette fois-ci encore, discrets quant à leurs buts politiques. Ainsi tous ceux qui purent porter les armes prirent ils part à la lutte et comme il y eut beaucoup d‘officiers qui avaient pris entre leurs mains la conduite des opérations, les succès furent importants. Partout, les Italiens furent vaincus et refoulés dans les quelques lieux de garnisons qu‘ils avaient bien fortifiées. Les insurgés devinrent les maîtres de l'ensemble du territoire, exception faite de quelques lieux de garnisons dans les régions méridionales et côtières. Cela dura jusqu'àu mois d'octobre.
Pendant ce temps, entre le mois août et le mois d'octobre, les communistes avaient développé une importante activité de propagande. C‘est seulement à partir du mois d‘octobre qu‘ils se mirent à instaurer une administration de type communiste et un régime de terreur des plus sanglants. Le Monténégro devint alors le théâtre d‘une boucherie ; on tuait, outre les nationalistes avérés, les notables et les personnalités neutres supposées hostiles à la soviétisation du pays. Partout où les communistes étaient établis en force, ils tuaient en masse et ouvertement; là où ils se sentaient faibles, ils tuaient de manière sournoise et secrète. Longue est la liste des gens de bien, victimes de cette terreur. Aujourd'hui encore existent des charniers que les communistes désignent sous le terme de “cimetières de chiens”, des fosses communes où par centaines furent entassés les cadavres de coupables ou simplement de gens suspects pour s‘être déclarés contre le régime communiste. J‘ai vu de mes propres yeux, deux de ces “cimetières de chiens”. Ce qui avait particulièrement révolté les gens, c'était les exécutions massives de patriotes authentiques parmi lesquels se trouvaient des notables qui, avant la guerre, avaient été considérés par les régimes dictatoriaux yougoslaves, comme dangereux pour l‘ordre public : telle la famille de Marko Dakovitch et tant d‘autres dont les noms m‘échappent, car je n‘étais pas spécialement au fait des affaires monténégrines avant la guerre.

Alors que pendant le premier soulèvement, les communistes n'avaient exécuté que ceux de leurs affidés opposés au soulèvement le jugeant prématuré (tels le fameux leader communiste Andjelitch, Vešitch et tant d'autres), dès le début du mois d‘Octobre 1941, tous ceux qui, du fait de leur notoriété, étaient susceptibles d'exercer un ascendant sur leur entourage et de s‘opposer à la bolchevisation du Pays étaient éliminés. Les victimes étant systématiquement assimilées à la ”cinquième colonne”, la confusion s'installa dans l'esprit de la population.
Une fois la frayeur passée, les gens se ressaisirent ; s'en est suivi une véritable effervescence : les communistes locaux, renforcés par les unités de partisans expulsés de Serbie, procédèrent, dès la fin du mois de novembre et jusqu'à la fin du mois de décembre, à la réorganisation de leurs unités. C'est à ce moment que furent formées les unités de choc, composées de révolutionnaires aguerris nommées "les égorgeurs" qui semaient la terreur dans le pays.
Dans le nord du Monténégro, le sursaut nationaliste, notamment au sein du puissant clan des Voïnovitch réputé pour son attachement à la cause yougoslave, souleva contre les communistes les populations des campagnes, des agglomérations proches des grandes voies de communication et celles, voisines des places de garnisons occupées par les Italiens. Le mouvement prit rapidement de l'ampleur ; armés par les Italiens, les habitants chassèrent les partisans communistes ; l'ensemble de la population de la région prit les armes et proclama l'inviolabilité des communes. Les Italiens fournissaient les armes et les munitions à la population autochtone de sorte qu'une véritable collaboration s'était établie entre les deux. Sagement les Italiens, renoncèrent d'imposer leur pouvoir et prendre la place laissée vacante par les partisans. Au début de l'année 1942 les communistes organisèrent des "expéditions punitives" contre les autochtones ce qui déclencha une riposte massive et immédiate des populations armées dans les régions au nord du Monténégro sous la directions des officiers. Leur riposte avait été brève et fulgurante. Les communistes furent expulsés du Monténégro, d'abord refoulés en Herzégovine où ils entrèrent en conflit avec les nationalistes, survivants des pogroms oustachis ils se replièrent pour finir en Bosnie occidentale et dans la Lika où ils allaient se réorganiser pour former ultérieurement la République de Bihac.
Pour ce qui est de la ”collaboration” au Monténégro, il faut à nouveau faire la distinction entre le nord et le sud. Dans le sud, sévèrement éprouvé par les expéditions punitives successives des partisans et des italiens, en état de désagrégation, aussi bien politique qu'économique, s'imposa la “collaboration” avec les Italiens. Ces derniers disposaient de places de garnisons fortifiées, aussi, purent t'ils circuler librement dans cette région d'autant que la configuration du terrain s'y prêtait, ce dont j‘ai déjà fait mention. De plus, le sud du Monténégro étant dépendant en matière alimentaire, les Italiens en profitèrent pour prendre le dessus. Les rapports entre les chefs militaires Tchetniks de la région et Mihajlovitch furent cordiaux. Mihajlovitch avait compris qu‘il ne pouvait exiger de leur part plus qu'une coopération secrète ; il accepta leur soumission et leur enjoignit d'adopter une attitude passive à l'égard des Italiens, assurant ainsi le ravitaillement en vivres de la population et leur approvisionnement en armes et en munitions. Il allait de soit que le général Djoukanovitch, chef militaire des éléments collaborant pour l'heure avec les Italiens devrait, au moment opportun et sans conditions, se séparer des Italiens et se mettre sous les ordres de Mihajlovitch.
Pour ce qui est du nord de Monténégro, l'allégeance à l'égard des Italiens était toute théorique. Dans le nord les unités tchetniks étaient les vrais maîtres et se comportaient comme tels. Les Italiens ne pouvaient accéder à l'intérieur du pays sans autorisation préalable des tchetniks. Le commandant de la Région Nord Pavle Djourichitch accordait aux Italiens, à titre exceptionnel, des permissions individuelles qui leur permettait de se rendre au marché local pour acheter du beurre et des oeufs. Aussi, dans ces régions, les Italiens craignaient-ils les Tchetniks qui ne se gênaient pas pour leur dire, qu‘à la veille du débarquement allié, ils allaient les culbuter dans la mer afin de pouvoir enfin se lancer contre les allemands le temps que les Alliés prennent quelque repos dans leur pays.
Au début de l'année, parvint au Q. G. de Mihajlovitch la nouvelle que sa personne faisait l‘objet de violentes attaques dans la presse anglo-américaine arguant de la”collaboration” de certains détachements tchetniks avec les Italiens, qu'il avait cautionné. Je m‘en étais plaint à Djourichitch pour qui j'avais, par ailleurs, de l'estime et lui demandais son avis.
"Ce serait une bêtise que de rompre cet état de choses, me disait-il, puisque nous sommes les maîtres, et que ces imbéciles d‘Italiens sont nos fournisseurs dociles... D‘ailleurs, je montrerai au colonel Bailey, chef de la mission anglaise, la manière dont je pratique personnellement la ”collaboration” et si cela lui déplaît, alors je ne sais pas ce qui lui faut!"
En effet, quelques jours plus tard, fut organisée une cérémonie dans la ville de Kolašin Pour célébrer l‘anniversaire de sa libération. Plusieurs milliers de personnes venues des alentours assistèrent au Te-Deum, et à la revue des troupes. Une tribune avait été dressée sur la grand-place, et les officiers anglais en tenues de tchetniks s‘y tenaient aux côtés de Djourichitch et des dignitaires locaux. La foule, à laquelle je m'étais mêlé, avait envahi la grand-place. Deux officiers italiens de la garnison de Podgorica avaient cru devoir assister à la cérémonie et se présentèrent à Djourichitch qui refusa de leur tendre la main et leur tourna le dos, de sorte que les deux italiens gênés, ne sachant que faire, se mirent à l‘écart et attendirent la fin de la cérémonie pour se frayer un chemin dans la foule et déguerpir. Au terme de plusieurs discours, tous plus enflammés les uns que les autres, Djourichitch prit la parole et prononça un discours extrêmement violent. Il exalta l‘attachement du peuple à la personne du Roi, à celle de Mihajlovitch, et à la cause des Alliés; il s‘attaqua au fascisme et au nazisme, fit l‘éloge de la démocratie et termina son discours de la manière suivante : ”Vive le Roi Pierre, Vive la Yougoslavie, Vive le Général Mihajlovitch, Vive notre Grande Alliée la Grande-Bretagne, Vivent les Etats-Unis, Vivent nos Frères Russes!!!”
A la suite de cette cérémonie, j‘eus un entretien avec le colonel Bailey qui, sachant que Djourichitch était mon candidat au poste de commandant en chef de l'ensemble de nos troupes au Monténégro, me dit: "Il faudrait vraiment que vous réalisiez votre projet, parlez-en au Ministre." J‘en avais effectivement immédiatement parlé à Mihajlovitch qui m'avait promit qu'il allait saisir la première occasion pour nommer Djourichitch à ce poste. Il cherchait un moyen lui permettant d'éviter de vexer, à cette occasion, les officiers plus anciens dans le même grade que Djourichitch et il prit des mesures dans ce sens. Je voulus mettre à exécution cette décision sans délais avant de quitter Mihajlovitch au début du mois de mai ; aussi, ais-je rédigé l‘ordre nommant Djourichitch au poste de commandant en chef. Mihajlovitch signa l‘ordre et l‘expédia, mais quelques jours plus tard, le brave Djourichitch tomba entre les mains des Allemands, qui l'emmenèrent en avion directement à Berlin par. Il constituait pour eux une bonne prise.

On s'est ainsi rendu compte que la soit disant ”collaboration” n'était qu'un pis-aller. Si le mouvement insurrectionnel avait pu conserver son caractère national, y compris sous la conduite des communistes, il n‘y aurait jamais eu de ”collaboration”. Je suis convaincu que si les communistes s'étaient simplement bornés à faire de la propagande, il n‘y aurait jamais eu non plus de “collaboration”. Cherchant à profiter du trouble dans lequel avait été jeté le pays, ils croyaient pouvoir imposer la soviétisation en se débarrassant de tous ceux qui pouvaient les gêner. S'ils avaient réussi à exterminer tous ceux qu‘ils désignaient sous le nom "d'intelligentzia", terme emprunté aux soviétiques, le gros du peuple, privé de ses élites, aurait été amené à se soumettre ; c'est ce qui s'était passé en Croatie, dans la Lika et dans le Kordun où les Oustachis de Pavelitch éliminèrent d'abord les notables serbes ; ce qui amena les communistes, qui lors des massacres oustachis se tenaient à l'écart, à dire : ”Les Oustachis méritent des circonstances atténuantes car ils ont accompli la moitié de la tâche”.
La manière dont Djourichitch avait conduit la collaboration avec les Italiens nous avait profité de manière indubitable. Djourichitch se conduisait en maître en tenant, d'une certaine manière, les Italiens à sa merci. Cet état de faits avait permis le redressement relatif de la province et la réorganisation de nos troupes. Les Italiens en voulaient à Djourichitch pour toutes sortes de raisons, aussi est-il plus que probable que le guet-apens, au cours duquel ce dernier fut capturé puis transféré en Allemagne, avait été organisé avec l'aide des Italiens.
Mihajlovitch n‘avait jamais apprécié la manière dont avait été conduite la ”collaboration” avec les Italiens, qu‘il avait néanmoins été obligé de cautionner. Djourichitch jouissait malgré tout de son entière confiance, et Mihajlovitch admettait la façon dont celui-ci appliquait la “collaboration”. Par contre l‘état de soumission dans lequel s'était mis le général Djoukanovitch dans le sud du Monténégro l‘agaçait, et si les événements du mois de mai n'avaient pas eu lieu, il aurait mit fin à cette situation en mettant Djourichitch à la tête de l'ensemble des Tchetniks du Monténégro. Cependant, le général Djoukanovitch n'était pas un traître. Témoin des souffrances endurées par les populations dans le sud du Monténégro du fait de la guerre civile et de la disette, la fin de la guerre paraissant fort lointaine, c'est à contre-cœur qu‘il adopta une attitude docile vis-à-vis des Italiens. Djoukanovitch en souffrait néanmoins atrocement, ce dont Mihajlovitch était parfaitement conscient. Compte tenu du fait que Djoukanovitch jouissait de l'estime de la population, Mihajlovitch s'évertuait à trouver un procédé non vexatoire avant de le relever de ses fonctions.
Il faut remarquer que si au sud du Monténégro on oeuvrait en conspirant, dans le Nord de ce pays on agissait ouvertement. Les notables et les hommes politiques locaux franchissaient secrètement les hautes montagnes au nord du Monténégro pour rencontrer Mihajlovitch et ses représentants, débattre avec eux et s'entendre sur la manière de gérer les affaires publiques. Aussi bien dans le nord que dans le sud du pays Mihajlovitch utilisait les notables locaux dont le passé était irréprochable. Au début de l'été dernier, certains d‘entre eux furent tués par les Allemands et par les communistes. Le travail de ces hommes ne devrait pas être vain ; les données statistiques, les projets et les études minutieusement préparées serviront utilement tous ceux qui, au lendemain de la victoire et de la libération définitive du Pays, auront la charge de sa reconstruction.

L‘Herzégovine

Le 10 avril 1941 fut proclamé l‘Etat croate. Les troupes d‘occupation italiennes stationnées en Herzégovine sur le territoire croate se contentaient de maintenir l‘ordre dans les villes où ils avaient leurs garnisons. Au début du mois de mai l'armée Italienne était cantonnée dans les villes de Mostar, de Trebinje et de Dubrovnik. C'est à ce moment que commencent les premières incarcérations de civils serbes par les Oustachis. A cette époque les oustachis s‘en prenaient essentiellement à "l‘Intelligentsia”; les Serbes ne s‘en émurent pas outre mesure, car ils s‘imaginaient que ces derniers allaient agir de la même manière que les autorités autrichiennes l'avait fait 20 ans auparavant, lors de la Première Guerre, lorsqu'ils incarcéraient les notables serbes qui leurs servirent d'otages jusqu'à la fin des hostilités. Au mois de juin, on procéda à des arrestations en masse de civils serbes et c'est à cette époque que furent perpétrés les premiers massacres. Les Italiens faisaient semblants de ne rien voir invoquant le respect du principe de non-ingérence en territoire étranger. Les massacres de serbes, précédés d'un simulacre de procès en justice, faisaient rage pour atteindre leur point culminant le jour de la Fête Nationale serbe de Vidovdan. Des tribunaux itinérants composés de jeunes étudiants oustachis (souvent ex immigrés) mais aussi de croates autochtones qui à la tête de véritables bandes armées se déplaçaient d'un endroit à l'autre pour procéder à des tueries de civils serbes. Au début, les autochtones croates se tenaient à l'écart avant d'emboîter le pas à leurs prédécesseurs et de participer à la chasse à l'homme et aux massacres épouvantables.
A l‘Est du fleuve Neretva, du côté du Monténégro, les Serbes étaient majoritaires constituant plus de 70% de la population avec 15 à 20% de Musulmans, les 10 ou 15% restants étant des Croates catholiques. Ces derniers étaient plus nombreux sur les rives du fleuve Neretva, à Mostar et à Capljina mais également tout au long de la voie ferrée en direction de la mer Adriatique depuis la ville de Capljina jusqu‘à Stolac dans la région centrale de Popovo Polje. A Trebinje et à Nevesinje les catholiques forment une toute petite minorité. Les Musulmans étaient majoritaires à Fazlagica-Kula, tout près de Gacko et à Plana près de Bilece alors que dans les villes de Trebinje, Stolac et Nevesinje les Serbes étaient à égalité avec les Musulmans. Dans les régions orientales de l'Herzégovine les serbes forment ainsi la très grande majorité de la population.
Les massacres de serbes furent particulièrement nombreux tout au long de la Neretva, dans les régions de Stolac, Capljina, Ljubinje, Mostar mais aussi dans les villes de Gacko et de Nevesinje et de leurs alentours.
Comme lors des massacres perpétrés par les communistes au Monténégro, une fois la stupeur passée, les populations serbes ressaisies avaient fui en direction des massifs montagneux pour y organiser une défense armée. Les combats débutèrent à la fin du mois de juin, pour atteindre leur point culminant en Juillet et Août. Formés en détachements tchetniks les Serbes s'étaient emparés des villes de Gacko, Ljubinje, Bileca et de la quasi-totalité des localités à l'exception des villes de Mostar, Nevesinje, Trebinje et Dubrovnik, ces deux dernières étant encerclées.
Les tchetniks de l'Herzégovine avaient établi la liaison avec ceux de la Bosnie Orientale, et lorsque le soulèvement menaça les Italiens, ces derniers allèrent au contact des tchetniks avec lesquels ils engagèrent le combat par endroits. Avec l'aide des chars et de l'aviation les Italiens avaient rapidement investi les villes. Dès lors, au lieu de poursuivre le combat, ils se retranchèrent dans leurs garnisons fortifiées et envoyèrent des parlementaires aux chefs tchetniks leur proposant le partage du pouvoir sur l'ensemble de la région: les Italiens se maintenant dans les villes et leurs colonnes de ravitaillement conservant la liberté de mouvement sur les voies de communication. Cela se passait à la fin du mois d'août 1941. Au terme de longs pourparlers et après que les Italiens se furent portés garants de la vie des Serbes habitant les villes qu‘ils occupaient avec la promesse de s'opposer à toute tentative d'incarcération ou de déportation des citoyens serbes par les autorités locales quelles qu'elles soient, les Serbes conclurent la trêve ce qui leur permit de continuer la guerre contre les Oustachis et contre l'armée régulière croate. Les combats avec les formations armées croates continuèrent avec une violence inouïe sans que les Italiens s'en mêlent.
Il ne faut pas oublier qu‘au moment de la conclusion de la trêve entre Tchetniks et Italiens, la première ”expédition punitive” allemande traversait la Bosnie orientale et menaçait de descendre jusqu‘en Herzégovine. A la même époque on apprit en Herzégovine, que la Bosnie Occidentale, la Lika et le Kordun avaient été le théâtre de massacres et de violences inouïes perpétrés par les Oustachis.
A partir de la mi-septembre, les Partisans communistes s‘infiltrent par petits paquets depuis le Monénégro en Herzégovine sous prétexte de porter secours aux Serbes dans leur lutte contre les Oustachis et contre l‘armée croate. Ils y furent très bien accueillis ce qui les avait d'autant plus encouragé que, contrairement à ce qui se passait au Monténégro, il n'y avait guerre de sympathisants communistes y compris parmi les étudiants en Herzégovine. Sournoisement, village après village, sans user de violences, les communistes s‘emparèrent de l‘Herzégovine méridionale suivant la ligne Gacko-Stolac. Lorsqu'ils se sentirent suffisamment puissants pour prendre le pouvoir, détenu jusqu'alors par les Tchetniks, les engagements commencèrent.
Les Tchetniks s‘étaient auparavant mis sous les ordres de Mihajlovitch, considéré comme le représentant du pouvoir légal et le chef suprême de l‘armée régulière. Mihajlovitch avait envoyé en Herzégovine un délégué en la personne d‘un jeune officier d‘élite, le commandant Boško Todorovitch lequel, dès sa venue, apporta des corrections à l‘entente avec les Italiens rendant aux tchetniks une indépendance totale. Sous la seule condition du respect de la trêve avec les Italiens, les Tchetniks avaient recouvert une liberté d'action pratiquement absolue. Todorovitch procéda immédiatement à la transformations des unités Tchetniks en armée régulière yougoslave. Il avait formé le projet de l'union de l'ensemble des forces de résistance dans le pays et déployait une activité intense dans le but d'établir des rapports cordiaux avec les communistes. Il avait établi un plan de sabotages sur une grande échelle visant outre les cibles militaires des objectifs d'ordre économique, projet dont il entamât la réalisation sur une grande échelle.
Néanmoins, à partir du mois de novembre, les communistes avaient repris l'élimination des notables serbes. Le processus se développa de manière progressive en éliminant des notables par-ci par-là, d'un lieu à un autre, de préférence éloigné du précédent. Lorsqu'on s‘indignait, ils s‘excusaient, invoquaient une méprise ou des raisons diverses. Néanmoins, impatients, ils se mirent subitement à tuer sans vergogne, popes, officiers, sokols, intellectuels, paysans prospères... Le massacre se généralisa de sorte qu'en janvier 1942 éclata, malgré tous les efforts de Todorovitch, la guerre ouverte entre les Tchetniks et les Partisans communistes.
La situation sur le terrain était la suivante: ainsi que nous l‘avions dit, en Herzégovine du sud, les détachements de partisans infiltrés étaient formés, pour la plupart, par des non-communistes, qui entretenaient de bons rapports avec les Tchetniks. Cet état de fait déplut au commandement suprême communiste, aussi, dépêcha-t-il des unités prolétariennes de choc qui poursuivaient deux objectifs distincts : celui de "prolétariser" les unités de partisans infiltrés et celui de d'attiser la guerre civile. Les bons rapports entre Tchetniks et partisans, qui dans beaucoup de villages avaient des garnisons communes cessèrent ; les Partisans attaquaient les Tchetniks dès l‘arrivée des renforts de "prolétaires". En Herzégovine du Nord, il n‘y avait pratiquement pas eu d‘infiltration communiste, c'était une région entièrement Tchetnik.
Avant d‘avoir engagé la lutte pour la prise de pouvoir en Herzégovine, les Partisans accomplirent des actes de sabotage, contre les Italiens à proximité de leurs garnisons. Les dégâts occasionnés étaient mineurs. La réaction des Italiens, par contre, fut d'une extrême violence : pour chaque poteau télégraphique abattu des sanctions disproportionnées furent appliquées (incendies, exécutions, etc). Certains Partisans justifiaient leur tactique en arguant de la nécessité de "prolétariser" les campagnes. Aussi, une guerre atroce fit rage. A chaque fois que la situation des Partisans devenait délicate ils entamaient des pourparlers avec les Tchetniks que ces derniers acceptaient sous l'influence de Todorovitch. Des accords furent ainsi conclu un peu partout dans cette région. Néanmoins, aussitôt la trêve conclue, les Partisans en profitaient pour ramener des renforts, et dès qu‘ils s'estimaient suffisamment forts, ils rompaient la trêve. Cette alternance de périodes de combat et de trêve dura jusqu‘au meurtre de Todorovitch, en février 1942. Les communistes s'étaient traîtreusement défaits de ce jeune chef qui avait su gagner le cœur de tous les Bosniaques, des Herzégoviniens et des habitants de Sandzak. Bien que prévenu par ses officiers et par ses soldats, Todorovitch s'était rendu avec une faible escorte au rendez-vous que lui avaient fixé les communistes dans le village de Kifino Selo. Les communistes, contrairement à ce qu'ils lui avaient fait croire, encerclèrent le village avec toute une brigade avant d'attaquer Todorovitch et son escorte. Todorovitch et ses hommes, excepté deux soldats qui avaient réussi à s'échapper, tombèrent bravement en combattant.

Après la mort de Todorovitch, les Partisans qui avaient reçu d‘importants renforts du Monténégro et du Sandzak, lancèrent une attaque générale contre les Tchetniks, qui se replièrent partout. Les Partisans firent de nombreux prisonniers. Une partie des unités Tchetniks réussit à gagner les massifs montagneux et passa en Bosnie orientale, une autre trouva du soutien auprès des garnisons italiennes et la dernière rejoignit les Partisans.
Devenus maîtres, les Partisans recommencèrent leurs exactions sur l'ensemble du territoire conquis. Ils tuèrent plus de Serbes que ne l'avaient fait les Oustachis. Autant que je puis me souvenir les Oustachis n'avaient tué qu'une dizaine d'hommes dans le district de Bilece alors que les Partisans en avaient exécuté plus de 400. Dans le district de Nevesinje, les Oustachis avaient tué un peu plus de cent Serbes alors que les Partisans en avaient abattu un peu plus de 500, etc. Le règne de la terreur se poursuivit, avec plus ou moins de violence, jusqu'au mois d‘avril 1942. Le peuple n‘en pouvant plus et la peur aidant, la conjuration s'organisa. Jamais le secret ne fut mieux gardé. Le soulèvement fut déclenché le même jour et à la même heure, dans toute l‘Herzégovine. L‘engagement fut à ce point massif et violent que les communistes furent expulsés de l'Herzégovine en cinq jours.
En ces temps là personne ne fut autant haï en Herzégovine que les communistes. C'était parfaitement compréhensible lorsqu'on sait que les meilleurs d'entre nous furent tués par les communistes, sous prétexte d‘appartenir à la ”cinquième colonne”. Parmi tant d'exemples je choisirai celui d'un jeune capitaine dont le nom m'échappe et qui s'était illustré en Juin 1942 dans les environs de Stolac en anéantissant une colonne allemande qui laissa sur place 80 tués, 100 prisonniers ainsi que nombre de camions et de véhicules divers. Capturé par les partisans et inculpé pour espionnage, il fut condamné à mort et fusillé. Les gens, y compris ceux qui admettaient ces violences, ne savaient plus quelle attitude allait être qualifiée de trahison, d'appartenance à la cinquième colonne etc.
Pour bien comprendre les motifs qui avaient conduit d'authentiques patriotes à collaborer avec les Italiens, il faut tenir compte d'une part de la structure économique de l'Herzégovine qui est une région sous-développée, dont les ressources alimentaires sont limitées et où l'eau est rare (exception faite des vallées du sud du pays) et d'autre part de la présence des Domobrans et des Oustachis qui cherchent à imposer l'emprise de l'état croate dans la région. Outre ces deux atouts, les Italiens disposaient d'un troisième atout : celui des oustachis qui faisaient pression sur eux afin de rétablir leur pouvoir dans la province.
Les Tchetniks se trouvaient placés dans l‘alternative, soit de combattre les Italiens qui assuraient le ravitaillement de la population locale et qui pouvaient faire intervenir, à tout moment, les 4 000 oustachis cantonnés à Mostar soit de trouver un accommodement avec les premiers. Les Tchetniks choisirent de conclure une trêve avec les Italiens ce qui leurs laissait les mains libres pour pouvoir s'opposer aux Oustachis et aux formations régulières croates. Todorovitch apporta une modification au dit arrangement en obtenant, la neutralité des forces italiennes dans l'éventualité d'une intervention des Allemands qui menaçaient de soutenir les Croates en organisant des ”expéditions punitives”. En plus de l‘eau et de la nourriture, les Italiens s‘engageaient à fournir des armes aux Tchetniks. Ainsi, en vertu de cet arrangement, les Italiens se maintenaient dans leurs garnisons dans les villes de Trebinje, Biljece, Gacko, Nevesinje, Stolac et Mostar, le reste du territoire demeurant sous le contrôle des Tchetnik. Le nord-est de l‘Herzégovine et le sud-est de la Bosnie, quoique zones d'occupation italiennes, furent pour ainsi dire, une terre ”ultra-tchetnik”, où les soldats ennemis ne mettaient pas les pieds.
C‘est dans cette région, fermement tenue par les Tchetniks que venaient se réfugier et se réorganiser les détachements Tchetniks provenant de la Bosnie Orientale lorsque les Oustachis et les Allemands les y avaient refoulés. Mihajlovitch insistait sur la nécessité de conserver cette région qui servait de base de soutien, aux détachements Tchetniks mis en mauvaise posture, que ce soit en Bosnie orientale ou en Herzégovine.
Ceux qui malgré tout cela, considéraient d‘un œil défavorable cette ”collaboration”, que d‘aucuns qualifièrent de traîtrise, devraient se rappeler que l'année 1942 fut une année de disette en Herzégovine. En cet automne 1942 les populations affamées de ces régions manquaient de tout, y compris de vêtements, se déplaçant quasiment nus, vêtus de haillons, à la recherche de nourriture. Les réfugiés de l'Herzégovine, ayant rejoint la Serbie furent priés d‘intervenir sur place pour que leurs enfants puissent y être accueillis. Au commencement de l'hiver 1942, plus de 500 de ces enfants avaient traversé à pied le Sandzak avant de rejoindre la Serbie. Ceux qui étaient restés en Herzégovine, étaient, pour la plupart, réduits à manger l‘écorce des arbres et des feuilles.
Les Tchetniks auraient préféré collaborer avec les communistes, mais ces derniers avaient rendu toute entente en Herzégovine impossible. Aussi, les Herzégoviniens étaient-t-ils prêts à se déplacer n'importe où pour combattre les communistes. Il s'agit là d'un phénomène extrêmement inquiétant car il est rare que les hommes consentent à abandonner leurs foyers et la garde de leurs biens pour assouvir une vengeance.

Les confins de la Bosnie Occidentale, de la Lika et de la Dalmatie

Je ne ferai qu‘une courte récapitulation des événements qui se produisirent dans cette région car tout se passa, à peu de choses près, de la même façon qu‘au Monténégro, et en Herzégovine.
Dès l‘instauration du nouvel Etat croate, les personnalités serbes en vue furent arrêtées par les autorités croates pour servir d'otages. Dans un premier temps il n'y eut pas de réaction de la part des Serbes qui, se souvenant de l'occupation autrichienne durant la dernière guerre, trouvaient la chose pour ainsi dire "naturelle". C‘est seulement plus tard que l‘on apprit que les otages avaient été exécutés dès leur arrestation. A cette époque les autorités croates procédaient en secret aux exécutions de manière à ne pas susciter de réaction de la part des Serbes et aussi, peut-être, afin de ne pas indisposer les troupes italiennes d‘occupation. Estimant que le nombre d'exécutions était insuffisant il fallut trouver des prétextes pour justifier les exécutions massives. L'entrée en guerre de la Russie leur en fournit le motif. Les Serbes étant supposés russophiles furent tous décrétés communistes ou communisants constituant, de ce fait, une menace pour le nouvel Ordre établi. C'est la raison pour laquelle les autorités italiennes adoptèrent une attitude passive pratiquement tout au long des massacres. Cette fois ci, encore, les Oustachis éliminèrent d'abord ”l‘intelligentsia” serbe pour terminer par les exécutions massives de paysans, voire de femmes et d‘enfants. L'extermination des populations serbes était devenue systématique. La passivité des Partisans communistes réfugiés dans les montagnes environnantes témoigne de la qualité de leur discipline. Ceux d'entre eux qui furent prévenus de l'ampleur du massacre projeté par les oustachis renoncèrent à prévenir les populations serbes des campagnes environnantes y compris lorsqu'il s'agissait de leurs proches ou de leurs familles.
Les forêts se remplissaient de réfugiés qui, immédiatement s‘organisaient en formations militaires de sorte qu'à la veille de la fête du Vidovdan (le 28 juin), éclata un soulèvement populaire qui se répandit rapidement. Comme dans les autres régions la répression fut d'une extrême violence. La masse de réfugiés armés de pieux, de pioches et de faux (il y avait fort peu de fusils), vida la région aussi bien des Oustachis que de l'occupant. Les villes de Drvar, Grahovo, Glamoc, Lapac, Srb, Kulen-Vakuf, Petrovac tombèrent entre les mains des Tchetniks qui s'étaient emparés d‘une quantité considérable d‘armes. A défaut d‘officiers, des individus décidés et courageux se mirent à la tête des unités de Tchetniks. Ils n‘y avait point d‘hommes instruits pour les conduire, ces derniers ayant disparu lors des massacres antérieurs.
L‘organisation militaire différait de celle observée dans les régions disposant d'officiers de carrière. On s‘inspira des formules observées lors du service militaire à la caserne en période de paix et l'on forma des compagnies, des bataillons et des régiments. Les communistes, peu nombreux à cette époque, ne se déclaraient pas comme tels devant le peuple et se tenaient à l'écart en attendant leur heure. Pour ce qui est des Italiens, ils se comportaient en alliés des Croates, et c‘est seulement à titre individuel que les soldats et les officiers italiens portèrent secours en secret aux Serbes pourchassés. C'est après avoir constaté l'ampleur et la violence de la révolte des populations serbes unanimes qu'ils prirent conscience que, contrairement aux allégations croates, les Serbes ne constituaient pas l'infime minorité des habitants du pays.
En septembre et en octobre de la même année les Italiens essayèrent d'établir un contact avec les chefs de guerre Tchetniks. Cela n'était pas simple car il n'existait pas d'unité de commandement, les liaisons entre les différentes unités étant fortuites et occasionnelles, de sorte que les Italiens établirent des accords au cas par cas, à titre individuel, avec les chefs Tchetniks. Les Serbes se sentant forts et les Italiens se sentant menacés, on s‘entendit avec l'ensemble des chefs Tchetniks qui dorénavant devaient s'abstenir de toute attaque contre les Italiens qui, de leur côté, leur laisseraient toute latitude quant à l'attitude qu'il adopteraient à l'égard des autres ennemis. Les Italiens avaient promis de prendre sous leur protection la population serbe dans les villes où ils tenaient garnison, de leur accorder le libre exercice de leur culte et de reconnaître leur nationalité serbe. Les vieillards, les femmes et les enfants qui avaient échappé aux massacres quittèrent les forêts et rentrent chez eux, les villages étant protégés par les Tchetniks, et les villes par les garnisons italiennes.
C'est à ce moment que les communistes entrèrent en scène accusant les Tchetniks de trahison. Ils attaquèrent par surprise des formations Tchetniks et en désarmèrent un grand nombre afin de fournir des armes à leurs affidés ramenés depuis les régions du littoral. Renforcés de la sorte, les communistes conquirent des territoires jusque là tenus par les Tchetniks avant de procéder à une mobilisation forcée. Ils attaquèrent immédiatement les garnisons italiennes les plus faibles et commirent des actes de sabotage qui consistaient à abattre des poteaux télégraphiques. Les Italiens réagirent avec violence : renonçant à poursuivre les saboteurs qui, leur tâche accomplie, se repliaient rapidement dans les bois, ils exercèrent des représailles sur la population des agglomérations serbes proches des voies de communication. Le parti communiste étant considéré comme étant celui des prolétaires indigents, les habitants de ces régions excessivement pauvres, se demandaient pour quelle raison les communistes s'en prenaient à des miséreux tels qu'eux. Aussi, crurent-ils que le mouvement communiste était anti-serbe. La propagande communiste se hâta de proclamer le contraire : que leur mouvement, né en Serbie, y avait pris le pouvoir ainsi qu'au Monténégro, en Herzégovine et en Bosnie Orientale ce qui amena bon nombre de serbes de rejoindre les partisans. Ils le firent en désespoir de cause car les aptitudes politiques des chefs Tchetniks, certes courageux, ne leur inspiraient pas confiance. A l'opposé, bons orateurs, les responsables communistes, impressionnaient ces pauvres gens par leur savoir. Il s'était produit, à ce moment, chez ces gens, une sorte de lutte intérieure entre l'instinct nationaliste qui leur est inhérent et la prise de conscience de leur ignorance du monde moderne.
Au mois de mars 1942, les communistes procèdent à des attaques en règle contre les Tchetniks, éliminant systématiquement leurs sympathisants et incendiant les villages dans les régions considérées comme étant favorables 0 ces derniers. Ce sont les partisans communistes qui avaient brûlé les villages dans les régions réputées pour leur nationalisme. Ils mirent le feu demeures de la famille Princip de sorte que la mère nonagénaire de l‘auteur de l‘attentat de Sarajevo fut obligée de se réfugier à Knin, où plus de dix mille réfugiés serbes s‘étaient mis sous la protection de la garnison italienne. La mère Princip avait été cataloguée par les communistes de la soi-disant “l‘Armée de la libération nationale” comme appartenant à la "cinquième colonne".
Il est à remarquer que ces régions avaient été évacuées, de leur propre chef, par les forces armées d‘occupation. Les communistes s'en prenaient exclusivement aux Tchetniks et à leurs sympatisants.
A la fin de moi de mars 1942, tout le monde savait déjà que Mihajlovitch était à la tête du mouvement de libération et bien que l'on ne disposat pas de moyens de communication il était considéré comme étant le chef de la résistance de sorte que des émissaires lui furent dépêchés pour recevoir des ordres. C‘est à ce moment que les communistes avaient reçu d'importants renforts. Battus en Serbie, au Monténégro et en Herzégovine, pourchassés en Bosnie Orientale, ils étaient venus se réfugier dans la région en prétendant que, partout ailleurs, leur régime avait pris le pouvoir et qu‘ils venaient pour l‘instaurer là-aussi.
Les Tchetniks, disséminés dans ces contrées, décidèrent, une fois leur regroupement accompli, d'attaquer les communistes. Survint alors une nouvelle source de confusion car au moment où les communistes avaient attaqué les Oustachis, ils proclamérent qu'ils le faisaient au nom du Roi Pierre.
Les Tchetniks, au lieu de procéder au regroupement projeté, se séparèrent pour se répartir dans leurs régions respectives. Un groupe de Djouitch, se retira dans les régions du mont Dinara, et de la Lika méridionale; un autre qui sera uLtérieurement commandé par un officier, gagne le Gorski-Kotar et la vallée de Gacko; un troisième, sous les ordres du capitaine Brenovitch ainsi que le détachement Raditch, gagneront la région de Kljuc, Mrkonjic-Grad, Manjaca et Borje. Dans les territoires abandonnés par les Tchetniks le régime de terreur des communistes égala, sinon dépassa en horreur, celui des Oustachis. Pour les Serbes, les Oustachis et les communistes ne faisaient qu‘un, les deux égorgeaient les Serbes. On assista alors à un nouvel exode des populations civiles qui allaient se réfugier dans les régions tenues par les Tchetniks ou par les Italiens. C‘est l'ampleur de l'afflux des réfugiés serbes qui fut, pour une bonne part, responsable de la longévité de la ”collaboration” entre les Tchetniks et les Italiens. Sans la guerre civile, volontairement déclenchée et poursuivie par les Partisans, d'innombrables vies auraient été épargnées, des maux de toutes sortes auraient été évités et notre situation, tant au point de vue militaire qu‘au point de vue moral, eut été bien meilleure. L‘armée croate et celle des Oustachis était de médiocre qualité. La nature du relief montagneux aurait permis aux insurgés d‘en interdire l‘accès aux occupants. C'est du fait de la guerre civile que les ”expéditions punitives” allemandes purent traverser le pays, sans être trop inquiétées, car Partisans et Tchetniks étaient occupés à s‘entre-tuer, abandonnant le territoire à l‘ennemi.
L‘offensive allemande entreprise aux mois de février et mars 1943 en Bosnie Occidentale avait coûté la vie à plus de soixante mille hommes, femmes et enfants serbes. Sous prétexte de les protéger, les communistes évacuèrent le Kordun serbe et envoyèrent ces pauvres gens dans la direction de l‘Herzégovine à travers des forêts inhospitalières et les massifs montagneux. Presque tous y avaient péri de froid et de faim. Dans la montagne de Chator près de Grahovo, j‘ai vu de mes propres yeux, fin juillet 1943, des ossements humains d'hommes, de femmes et d‘enfants abandonnés sans sépulture. Dans cette région où l'eau est rare, nous n'avions pu utiliser l'eau du lac dans lequel croupissaient les cadavres des malheureux réfugiés serbes de la région du Kordun. Lorsqu'on avait fait au communistes la remarque que la façon dont ils menaient la guerre allait aboutir à l'extermination pure et simple des populations serbes, quelques-uns d'entre eux nous répondirent qu‘ils y amèneraient des Chinois prolifiques, pour remplacer les morts.

C'est en Juin ou en Juillet 1942, me semble t' il, qu‘Ilija Trifounovitch-Birtchanin, le fameux voïvode Tchetnik qui avait pris une part active dans le coup d‘Etat du 27 Mars, et qui, après avoir échappé au massacres perpétrés par les communistes, avait quitté le Monténégro pour s‘établir en Dalmatie et se mettre à la tête du mouvement Tchetnik de l‘Herzégovine, de la Dalmatie, de la Bosnie Occidentale et de la Lika, se mis sous les ordres de Mihajlovitch. Ce dernier lui avait confié le commandement de l'ensemble des détachements de ces régions, en lui enjoignant d‘établir un réseau efficace de communications et de mettre en place son organisation avant d'entreprendre des actions suivant un plan soigneusement établi. La pratique d‘une ”collaboration” circonspecte avec les Italiens était considérée comme un pis-aller dont il faudrait trouver moyen de se défaire aussi vite que possible. Mihajlovitch qui était en rapport avec notre gouvernement à Londres s‘imaginait qu‘il allait recevoir une aide suffisante lui permettant de résoudre le douloureux problème de la survie des réfugiés faute de quoi il était impossible de rompre la ”collaboration” avec les Italiens. D‘ici-là, Trifounovitch devait limiter son action à des sabotages habilement conduits et à la mise en place d‘un service de renseignements recueillant des informations d'ordre militaire, économique et maritime.
L'accomplissement de notre réorganisation militaire et la constitution des comités politiques yougoslaves devaient coïncider avec l'affranchissement de l'aide fournie par les Italiens. Trifounovitch se jeta immédiatement au travail ; grâce à sa réputation et à l‘appui de Mihajlovitch, ses succès initiaux furent importants. Serbes et Croates originaires de ces régions, ne lui ménagèrent pas leurs sympathies. Du point de vue militaire également, l‘action menée par Trifounovitch n'était pas négligeable car bon nombre d‘officiers, à qui il put confier des postes de commandement, le rejoignirent. Ce n'était pas toujours chose facile, car les Tchetniks qui pendant le soulèvement s‘étaient battus pratiquement sans encadrement n'accueillirent pas favorablement leurs futurs officiers. Les Chefs populaires, eux aussi, les voyaient d‘un mauvais œil ; aussi, ce n'est qu'après avoir accepté successivement les emplois de simple voltigeur ou de servant de fusil-mitrailleur que ces jeunes officiers acquirent de l'ascendant sur leurs hommes. C'est en fonction de leur conduite au feu qu‘ils purent accéder aux postes de commandement.
Trifounovitch tomba gravement malade peu de temps après. Pendant sa longue et pénible maladie, les gens de son entourage ne disposaient pas d'une autorité suffisante pour mener à bonne fin l‘œuvre qu'il avait initiée. Alors que l‘attitude de Trifounovitch vis-à-vis des Italiens pouvait être comparée à celle de Djourichitch au Monténégro, plusieurs personnes de son entourage ne se montrèrent pas à la hauteur. Habilement, les Italiens cherchaient à démontrer que la ”collaboration”, notamment en Dalmatie et, d‘une manière générale, tout le long du littoral Adriatique, était due à l'amitié en alliance avec la population autochtone et ce d'autant que certaines personnes de l‘entourage de Trifounovitch établies à Split, siège de la Préfecture et de la Commande du Corps d‘Armée italien, furent l'objet d'un régime de faveur obtenant passeports, permis de circulation passée l‘heure du couvre-feu etc.
La propagande avait été confiée à une personne respectable, de nationalité croate qui, voulant se désolidariser de l'attitude de certains Croates durant les massacres perpétrés par les Oustachis, faisait du pan-serbisme. On s‘éloignait-ainsi du plan de Trifounovitch et des ordres reçus, ce qui provoqua de vives protestations de la plupart des chefs tchetniks et des personnes attachées à Mihajlovitch, qui appris, au mois de décembre, ces fâcheuses nouvelles. Il crut d‘abord que, sentant proche la mort de Trifounovitch, il s‘agissait de manœuvres et d‘intrigues qui amplifiaient certains faits. Se présentaient déjà des candidats pour sa succession, candidats dont Mihajlovitch ne voulut à aucun prix. Trifounovitch mourut au mois de février de la même année, et aussitôt après sa mort, Monsieur Niko Bratoulovitch, homme de lettre distingué, personnalité jouissant d‘une grande réputation en Dalmatie, se décida de risquer un voyage jusqu'à l‘Etat-Major de Mihajlovitch.
C‘est au terme de multiples péripéties qu‘il parvint chez Mihajlovitch pour lui brosser un tableau impartial de la situation et lui demander de nommer, au poste de Trifounovitch, un homme apte à mettre de l'ordre aussi bien dans les affaires politiques que militaires. S'étant rendu auprès de Mihajlovitch en qualité de représentant des croates de Dalmatie, Bartoulovitch aborda en premier la question serbo-croate avant d'avancer des propositions. Satisfait de s‘être mis d‘accord avec Mihajlovitch sur tous les points, Bartoulovitch insista pour que soit nommé au plus vite un nouveau commandant. Ne disposant de personne de qualifié sur place, en ce moment, Mihajlovitch me nomma à ce poste avant même d'avoir pris la peine de me demander mon avis. Ne connaissant ni la région, ni les hommes en place, ignorant tout de la mentalité des Tchetniks locaux et de leurs chefs, je ne m'estimais pas apte à occuper ce poste. Dans l'espoir de la survenue d'une personnalité appropriée, je m'ingéniai, quelque temps, à différer mon départ. C'était une période fort agitée. Mihajlovitch considérant, pour sa part, que le problème de la succession de Birtchanin était réglé, je rejoignis mon nouveau poste à la mi-mai.
J‘avais reçu l‘ordre de m'introduire dans la ville de Split, d'y procéder à de larges consultations et d‘expliquer aux représentants des partis et des associations le point de vue de Mihajlovitch. A la suite de quoi, je devais constituer un Comité Politique pour la Dalmatie, auquel devaient s‘affilier les différents comités locaux de la province. Ultérieurement je devais procéder, de la même manière, dans la Bosnie Occidentale, le Kordun et dans la Lika. Il fallait travailler vite pour ne pas être découvert et aussi m‘établir dans les montagnes avec l‘Etat-Major qui restait à former. Une fois que je serais installé et que mon réseau de communications aurait été organisé, il fallait démanteler le réseau de ”collaboration” avec les Italiens et déclencher une guérilla énergique selon les plans établis par avance. J'estimais que ce travail préparatoire ne devrait pas me prendre plus d‘un mois. Il est probable qu'il en aurait été ainsi si, à l'aube du 1er juin, je n‘avais pas été arrêté par les carabiniers.
J‘avais cependant réussi à prendre contact avec la quasi-totalité des hommes politiques et des notables de Split et de Šibenik, et à me mettre d‘accord avec eux. Ils ne demandaient d'ailleurs qu‘a être soutenus par Mihajlovitch qui avait certes la réputation d‘un grand chef militaire mais aussi celle d'un homme teinté de pan-serbes avec des idées réactionnaires. Il m'avait été facile de leur prouver le contraire sur ces deux derniers points, en leur proposant de procéder par eux-même à la constitution des Comités politiques représentatifs. Tous, y compris les représentants de Matchek et les démocrates indépendants avec lesquels les premiers faisaient bloc me promirent aide et soutien. Ces derniers n'ont pu déléguer leurs représentants au Comité National, car les liaisons avec leur centrale à Zagreb avaient été rompues ; aussi, ce parti fort discipliné manquait-t-il de souplesse dont il aurait cependant eu bien besoin dans les circonstances actuelles.
Le Comité National que j‘avais formé dans la soirée du 31 mai, la veille de mon arrestation, était composé de gens respectés de tous, aussi, avais-je l‘impression qu‘il était représentatif de l‘opinion de la plupart des Dalmates, qui sont Yougoslaves avant d‘être Serbes ou Croates.
Pendant ces quinze jours de travail à Split, j‘avais établi les bases de l'organisation militaire future. Craignant que le nom de ”Tchetnik” ne soit mal interprété, compte tenu du fait que la quasi totalité des Tchetniks étaient Serbes, j‘avais d'emblée soutenu que, pour l'heure, les Tchetniks ne formaient que le noyau de l'armée yougoslave future, aussi avais-je immédiatement donné des ordres afin que les unités tchetniks arborent dorénavant le sigle "Armée Yougoslave sur le sol de la Patrie" à côté du nom et du numéro de leur unité.
Immédiatement j'avais procédé au recrutement et à la formation des unités croates. J'avais rencontré la plupart des officiers yougoslaves résidant à Split qui n'avaient guère été inquiétés par l'occupant italien et qui étaient pratiquement tous croates pour leur proposer des postes de commandement, au choix, soit dans le réseau de résistance soit dans les unités combattantes. Sur les cent et quelques officiers consultés, une dizaine répondit à mon appel se disant prêts à travailler dans le réseau de résistance. Etant serbe, je ne voulais pas les forcer à rejoindre les unités combattantes bien que ces dernières, insuffisamment encadrées, manquaient d'officiers. Je leur avais fait confiance et leurs ai confié la quasi-totalité des postes dans le réseau-résistance de la ville de Split. A la mi-juillet, après ma sortie de prison et après avoir pris mon commandement dans la Dinara, le Réseau, qui fonctionnait bien, réussit à m‘envoyer dans le maquis une centaine de jeunes volontaires, dont la plupart étaient des étudiants originaires de Split, que je m‘appliquais immédiatement à instruire pour les employer en tant que sous-officiers. Il devenait évident que l‘idée yougoslave avait fait des progrès, puisque les formations Tchetniks de cette région, pour la plupart composées de gens dont les Oustachis avaient tué les familles, accueillirent favorablement ces nouvelles recrues croates. Cela n‘aurait pas été imaginable quelques mois auparavant. Ce rapport ayant un caractère strictement confidentiel, je crois pouvoir expliquer les raisons qui, selon moi, avaient conduit les autorités italiennes à me faire sortir de prison.
En avril de la même année, le général Mihajlovitch, reçut deux messages qui semblaient provenir de la même source et ceci bien qu'ils nous furent transmis par des voies différentes. Une personnalité ”haut-placée” à Rome (nous apprîmes quelque temps plus tard qu'il s'agissait de Monsieur Bastianini, ancien ambassadeur de l'Italie à Londres) avait sollicité une entrevue secrète avec Mihajlovitch à l‘endroit et aux conditions de sécurité que ce dernier devait fixer. Les personnes qui nous avaient transmis les messages auraient reçu la visite de hauts fonctionnaires romains, leur demandant de servir d'intermédiaires, disaient t'ils tous les deux dans la lettre adressée à Mihajlovitch en ajoutant, qu‘ils avaient le sentiment qu'il pouvait s'agir d‘un changement de l'orientation politique et militaire de ce pays. Lorsque les messagers parvinrent jusqu'à Mihajlovitch, nous étions tous les deux seuls. J'ai le sentiment que Mihajlovitch n‘avait pas encore divulgué la nouvelle. Il me dit simplement : ”Voici ma réponse” et me la dicta. Elle était conçue à peu près en ces termes:
…”Je vous interdis formellement de vous mêler de cette affaire. Vous répondrez que s'ils ont des propositions à faire, ils n‘ont qu‘à se soumettre aux formalités habituelles en usage dans de pareilles circonstances. Qu‘ils s‘adressent directement aux intéressés, ils en ont les moyens ; qu‘ils fassent des propositions nettes et claires, de préférence aux Anglais”.
S‘adressant à moi, il ajouta: ”Après toutes leurs insinuations, il ne me manquerait plus que cela. Ils ont le Vatican à leur porte, ils ont une frontière avec la Suisse, qu‘ils me laissent en paix, et si c‘est moi qu‘ils veulent voir, ils n‘ont qu‘à m‘envoyer des parlementaires!”
La nuit de mon arrestation, les Italiens, qui avaient perquisitionné dans les appartements de la plupart des officiers avec lesquels j'étais secrètement en rapports trouvèrent chez l‘un d‘eux le chiffre ainsi que les derniers télégrammes reçus et expédiés, les ordres concernant les sabotages projetés, les renseignements sur la défense côtière Italienne et la compositions de leurs garnisons. Aussi je crûs, à cet instant, qu'il en était fini de moi. Néanmoins, lors de l‘interrogatoire que l‘on m'avait fait subir dans les jours qui avaient suivi mon arrestation, je dis au colonel qui m'avait interrogé : ”Vous avez de drôles de manières de procéder; pour commencer vous faites des propositions à Mihajlovitch, Mihajlovitch m‘envoie à Split et vous m‘arrêtez ensuite”.
On interrompit immédiatement mon interrogatoire, on améliora mon régime de détention et j'appris, par la suite, qu‘on se mit immédiatement à vérifier mes déclarations. Une semaine plus tard, on me fit des excuses et on me remit en liberté sous surveillance en me demandant de me rendre immédiatement à Rome discuter directement avec les responsables des questions d'un intérêt commun. Je refusai évidemment arguant que, suite à mon arrestation, je perdais toutes qualités pour discuter de quoi que ce soit et que j'allais être immédiatement démenti. L‘officier italien me dit alors: ”Peut-être que le moment n‘est pas encore venu, mais le jour où nous deviendrons alliés approche, et Mihajlovitch est tout indiqué pour servir d‘intermédiaire dans une affaire qui est d'un intérêt capital pour votre pays”.
Peu de temps après, on me laissa agir en toute liberté. Durant les journées où j'étais en liberté surveillée, j‘avais trouvé moyen de communiquer en secret avec le Comité de Split ainsi qu'avec les détachements de la Lika et ceux de Slovénie qui préparaient mon évasion. Ils avaient même établi pour moi une liaison télégraphique avec Mihajlovitch. J‘appris plus tard que les Italiens avaient eu vent de tous nos agissements disposant du chiffre utilisé pour nos télégrammes, de sorte qu'ils étaient au courant de tous ce que nous faisions. Ils me laissèrent néanmoins regagner librement la forêt et aller où bon me semblait. Je n‘y comprenais plus rien... Connaissant tous nos projets, ils étaient, par avance en mesure de les contrecarrer.

Ce qui avait beaucoup nui à la bonne réputation des Tchetniks est le fait que la propagande adverse les assimila sciemment aux milices, communément désignées sous le terme de "bandes", formées par des autochtones serbes originaires des régions dévastées, commandés par des officiers italiens, et qui, pour la plupart, avaient tout perdu. Il n‘y avait cependant aucune similitude ni de jure, ni de facto entre les deux. Autant que je sais, deux ou trois compagnies de ces "Bandes" dont les effectifs atteignaient deux ou trois compagnies opéraient dans la région de Zadar, territoire qui était mal contrôlé par les Tchetniks. La mission de ces “Bandes” était de défendre les villages contre les incursions des Partisans communistes. Méprisées par les uns, déconsidérés par d'autres, ces malheureux espéraient pouvoir se passer un jour de la tutelle italienne et joindre les Tchetniks.
Depuis que j‘avais pris le commandement de cette région, je n‘arrivais toujours pas à résoudre la crise de l'armement qui perdurait. Au sud du mont Dinara ainsi que dans la Dalmatie septentrionale nombreux étaient les hommes qui voulaient nous rejoindre et que nous ne pouvions mobiliser en raison l'importante pénurie en armes y compris dans les unités constituées. Selon les dires de Djouitch, commandant la région de Dinara, ce dernier aurait été prêt à mobiliser, sous 24 heures, vingt mille hommes, y compris les réfugiés. Mihajlovitch promettait l'envoi des armes que les alliés étaient supposés nous acheminer par la voie des airs. J'en avais informé nos gens, mais ne voyant rien venir, le moral des hommes finit par être atteint d‘autant que les avions alliés qui survolaient la région fournissaient aide et secours aux Partisans communistes. Un officier domobran croate, qui avait trouvé le moyen de venir me voir, me dit:
”Nous nous serions rangés à vos côtés, si nous avions pu savoir lequel des deux partis serait effectivement soutenu par les Alliés ; en tant que membre du Gouvernement officiel réfugié à Londres, Mihajlovitch étant supposé devoir bénéficier de l'appui de nos alliés, anglais en particulier. Néanmoins, dans ses émissions radiophoniques Londres ne prononce jamais le nom de Mihajlovitch, pas plus qu'il ne mentionne ceux des ministres ni même celui du Roi. Dans son discours, prononcé le jour de la fête du Vidovdan, le roi, lui non plus, n‘avait pas mentionné le nom de son chef d‘Etat-Major général qui est aussi son Ministre de la Guerre. Les agents de propagande communistes qui pullulent dans nos régions, exhibent des ”cakes” et autres friandises qui leurs sont parachutées par les Anglais, ce qui ne fait que renforcer l‘équivoque de l'attitude de ces derniers à votre égard. Que cela nous plaise ou non, nous ne pouvons faire autre chose que subir la volonté des Alliés. Ainsi, l‘arrangement conclu entre Djouitch et le major domobran Draganitch, selon lequel les deux compagnies domobrans en garnison à Sinj devaient passer aux Tchetniks et intégrer l‘armée yougoslave, est tombé à l‘eau après le dernier discours de Monsieur Vilder. Le parachutage des armes et du matériel aux partisans par les avions alliés qui nous survolaient ainsi que l‘attitude équivoque de votre Gouvernement à Londres, sont autant de raisons qui avaient déterminé les officiers des deux compagnies de domobrans de la ville de Sinj et leurs hommes, de changer d‘avis et de rejoindre les Partisans. Tant que persistera cette attitude indécise de nos alliés il ne sera possible de faire rien de bon : les domobrans passeront tantôt dans votre camps, tantôt dans celui des communistes, selon les fluctuations de la politique des alliés."
Vers la mi-août, les représentant éminents des régions de Zadar et de Šibenik, vinrent me trouver pour me dire que les Italiens qui évacuaient en hâte leurs dépôts et réduisent leurs garnisons tout au long du littoral Adriatique, seraient disposés d‘équiper et d‘armer trois bataillons de ces ”Bandes” de 1.500 hommes chacune. Il y aurait moyen, me disaient-ils, de s‘arranger à ce que les cadres italiens des dits bataillons soient remplacés par les Dalmates de nationalité italienne. Ils me proposèrent de me mettre secrètement en rapport avec un commandant italien natif de Zadar, disposé d‘arborer le drapeau yougoslave dès que je jugerais le moment opportun. ”Nos hommes en sont informés mais refusent de rejoindre les “Bandes” avant que vous ne leur en donniez un ordre par écrit. Ils vous demandent aussi de leur garantir, par écrit, l'admission dans les rangs des Tchetniks appartenant à l‘armée Mihajlovitch”. Ils promettaient de rejoindre, sitôt équipés et armés les Tchetniks et ce quelle que soit l'attitude de leurs officiers italo-dalmates. Il suffirait pour cela de leurs indiquer les lieux de rassemblement.
J‘en avais immédiatement fait part à Mihajlovitch en lui avouant que j‘étais disposé de conclure ce marché. Contrairement à son habitude, Mihajlovitch ne voulut pas en assumer la responsabilité. Il me laissa néanmoins toute latitude dans la conduire cette affaire : ”en vous conformant à la situation tout à fait spéciale dans la région que vous commandez” disait-il. J‘en ai assumé en conséquence la responsabilité et je donnai, par écrit, autorisation, promesses et garanties nécessaires en me réservant le droit de fixer le moment et le lieu de rassemblement aux bataillons susceptibles de rejoindre le camp de la résistance.
Il n‘en fut rien; les représentants des dites régions m‘apprirent, peu de temps après, que les Italiens avaient changé d‘avis et que la formation de ces bataillons ne présentait plus aucun intérêt pour eux. Le commandant italien qui s‘était arrangé pour venir me voir afin de me parler de cette question, me confirma tout ce que ses représentants m‘avaient déjà dit, puis ajouta: ”Je crains qu‘il n‘y ait eu des indiscrétions : désormais on me voit d‘un mauvais œil, on ne veut plus aborder cette question avec moi et ceci bien que j'ai été chargé de former rapidement deux bataillons de ”Bandes”.
Nous ne savions ni lui ni moi, qu'à l'époque, le commandement italien était parvenu à décoder le chiffre que nous utilisions pour coder les télégrammes échangés avec Mihajlovitch. Connaissant nos projets, le commandant Italien réussit à les contrarier à temps.
De ce qui précède, on peut constater que la population serbe des régions dont j'avais la charge était disposée à rejoindre les Tchetniks et qu‘elle cherchait par tous les moyens à récupérer des armes afin de pouvoir le faire, alors que les domobrans Croates demeuraient indécis et ne savaient quel parti choisir. Ayant choisi le mauvais camps en 1941, il est compréhensible, qu'à l'heure actuelle, les croates attendent d'y voir plus clair avant de se déterminer, de manière définitive, lequel des deux partis rejoindre.
L‘attitude du commandant domobran Draganitch, qui entretenait des rapports aussi bien avec nous qu'avec les Partisans, est tout à fait typique à cet égard. Draganitch était le mandataire du fameux général croate Prpitch, qui fut ministre de la guerre à Zagreb. Il avouait ne pas savoir comment s'en sortir. A la fin du mois d‘août, il avait rencontré Djouitch et lui avait demandé un rendez-vous avec moi. Il me proposa, toujours par l‘intermédiaire de Djouitch, de lui envoyer à Zagreb un mandataire dont il assurerait le transport. Ce mandataire aurait été chargé, au nom du Général Mihajlovitch, de traiter des conditions d‘une collaboration militaire avec le général Prpic. J‘en avais fait part à Mihajlovitch et nous nous étions entendus pour envoyer le capitaine Djouitch breveté de l‘Etat-Major. Les événements du début du mois de septembre ne m'avaient pas permis de donner suite à cet arrangement. Draganitch ne croyait pas, d'ailleurs, qu'il serait possible d'obtenir une quelconque décision de la part du Gouvernement yougoslave de Londres en raison de "son attitude équivoque". Un officier subalterne qui accompagnait Draganitch dit à Djouitch: ”Il me semble que la question n‘est pas encore mûre. Nombreux sont les gens de chez nous qui pensent que le seul moyen d'escamoter notre responsabilité dans les torts faits aux Serbes et à la cause Yougoslave ainsi qu'aux intérêts des alliés consiste à soutenir les Partisans”.
En cette fin du mois d‘août, je me trouvais avec mon Etat-Major et mon poste de T. S. F., à proximité d‘un village sur le versant occidental du mont Kozijak tout près de la Dinara, qui, depuis quelque temps, était tombé aux mains des Partisans. Je me trouvais entouré de mes hommes qui étaient fatigués, et dont la plupart, vêtus de guenilles, étaient pieds nus. Je manquais depuis longtemps de numéraire, je m‘en tirais, grâce aux emprunts que je contractais aisément par l‘entremise de mon Comité de Split. Le moral de mes hommes était gravement atteint, moins du fait de notre misère que par les propos tenus de-ci, de-là sur l‘inutilité de notre combat. La plupart des Tchetniks étaient des Serbes privés depuis bien longtemps de tout soutien moral de la part de nos alliés, soutien qui autrefois leur donnait de l'éspoir et les aidait à combattre. Ils écoutaient la radio, répétaient que l‘aide était réservée à ceux dont ils furent les victimes, et que leur situation était sans issue. Je faisais tout mon possible pour leur remonter le moral. Les jeunes étudiants croates de la région de Split que j‘avais fait venir, introduisirent un peu de vie et réchauffèrent les espoirs de la troupe grâce à leurs tracts de propagande que les soldats lisaient avec avidité.
Toutefois, je ne me faisais pas d‘illusion, les Tchetniks de Djouitch traversaient une crise morale qui ne laissait pas de m‘inquiéter. Les meilleurs, les plus braves d'entre eux avaient péri, les unités étaient sous la conduite de gens du peuple ne jouissant pas d'un ascendant suffisant. Tout le monde espérait de l'aide, alors que Mihajlovitch demandait de nouveaux efforts et de nouveaux sacrifices. Les communistes recevaient des renforts de Croatie, alors qu‘ici, c‘était toujours les mêmes qui allaient au combat. J'avais proposé à Djouitch d'opérer des relèves, en renvoyant une partie des effectifs au repos pour la remplacer par d'autres (car il ne manquait pas d‘hommes susceptibles d'être mobilisés dans la région). Néanmoins, je m‘étais rapidement aperçu que pour des raisons matérielles et de subsistance cela n'était guère possible.
Nous ne pouvions congédier ou envoyer au repos, sans subvenir à ses besoins, un Tchetnik qui avait perdu sa famille et son foyer, la plus grande partie de nos effectifs étant dans ce cas.
C'est pour cette raison et pour bien d‘autres encore, qu'au moment où j‘avais reçu l‘ordre de me rendre maître des hauteurs dominant Split, Šibenik et Zadar, j‘avais demandé à Mihajlovitch de m'envoyer des renforts. Mihajlovitch me les promit pour le début du mois d‘octobre seulement. Ne disposant pas d'armes automatiques ni de munitions en quantité suffisante, je ne fus pas en état d'investir les garnisons italiennes, comme Mihajlovitch me l'avait demandé. C'est avec tristesse que je voyais fléchir les hommes de mes détachements de Bosnie occidentale et de la Lika qui avaient tout perdu fort la vie.

Les difficultés avaient également surgi à Split de sorte et le Comité que j'y avais constitué me demanda de venir y passer 24 heures, ce que je fis. Le travail accompli par le Comité et par mon Etat-Major clandestin dont la totalité des membres venait d'être incarcérée par les Italiens puis envoyés dans un camp de concentration venait juste de commencer à porter des fruits.
Il fallut former un nouvel Etat-Major et lui désigner de nouvelles tâches. La désorganisation consécutive aux dernières arrestations eut de graves conséquences, d'autant je n'avais pas réussi à refaire entièrement le travail minutieusement accompli par le réseau constitué par les officiers incarcérés. Cette carence s‘était fait durement ressentir au moment de la capitulation italienne d'autant que mes remplaçants n'étaient pas à la hauteur de leur tâche.
Le Comité s'était amèrement plaint de la propagande et des agissements des communistes. Ces derniers, contrariés par le travail que nous avions accompli et qui avait abouti à une entente politique, s‘en prirent, dans leurs tracts abondamment diffusés, aux membres les plus distingués de mon Comité, aux Croates les plus en vue, traités de ”vendus” et de “cinquième colonne "Tchetnik”, aux leaders du parti de monsieur Matchek qui faisaient cependant tout leur possible pour leurs être agréables et enfin à moi-même en révélant mon nom et ma profession et en me qualifiant de traître qu'il était urgent d'abattre. J‘avais déjà eu l‘occasion de voir les communistes à l'œuvre en Serbie, où ils dénonçaient les patriotes dont ils diffusaient les noms dans leurs tracts de sorte que je ne fus ni surpris ni impressionné par leurs agissements. Ce qui ne laissait pas de m‘inquiéter, c‘était le fait d'exciter la population et de l‘inciter au crime allant jusqu'à préconiser la manière de s'y prendre. Le Docteur Racitch fut la première victime choisie par les communistes qui n'attendirent pas longtemps avant de passer à l'action.
Eminente personnalité dalmate le Docteur Racitch, présidant le Comité de Split fut poignardé par une ”troïka” qui l'avait surpris dans la pénombre de l‘escalier de sa demeure. Les communistes avaient remis en honneur leur tactique favorite : se débarrasser en premiers des notables les plus distingués et les plus en vue. Cette fois-ci, néanmoins, l‘effet produit par le meurtre du Docteur Racitch eut des conséquences qui furent tout à fait défavorables pour les communistes, la victime étant par trop réputée pour ses vertus et par la largeur de ces vues en matière politique. L‘émotion soulevée par ce meurtre odieux fut si grande que, lorsqu la nouvelle de sa mort se répandit, les communistes envoyèrent un émissaire à Monsieur Bartoulovitch, un autre membre éminent de notre Comité, pour lui proposer une entente avec moi. J‘autorisai Bartoulovitch à recevoir l'émissaire des communistes et à discuter de leurs propositions. Tout au long de ces pourparlers, la ville de Split avait été submergée par des tracts communistes contenant des menaces de mort à l'encontre des personnalités avec lesquelles ils cherchaient à conclure un arrangement. Lorsque Bartoulovitch le fit remarquer à son interlocuteur anonyme; celui-ci lui répondit: "Voyons mais cela n'a aucune espèce d'importance, la propagande est une chose et la réalité en est une autre ; je crois d'ailleurs, disait-il, que l'ordre de tuer le Docteur Racitch avait été donné antérieurement à la décision d'entamer ces pourparlers, aussi fut-il impossible de les annuler à temps." L‘émissaire communiste avait été présenté à Bartoulovitch par un de ses amis, lui-même communiste, qui refusa de révéler son nom. Bartoulovitch m'avait dit qu'il s'agissait de quelqu'un de fort intelligent, d‘aspect très doux et dont l'attitude générale était des plus conciliantes. Dans le rapport rédigé par Bartoulovitch, autrefois chaud partisan d'un rapprochement avec les communistes, il me disait que tout arrangement avec les communistes était impossible. Bien que la demande des communistes n'était pas explicite, il devenait évident qu'il aurait fallu y accéder de manière inconditionnelle. Bartoulovitch avait eu plusieurs entrevues avec l'émissaire des communistes qui n'aboutirent à rien. Ce dernier était prolixe en déclarations conciliantes telles que : "nous reconnaissons la légitimité du Roi et celle de Mihajlovitch pour qui nous avons du respect, nous comprenons parfaitement le comportement des Tchetniks, nous admettons l'opportunité tactique de la”collaboration” etc. Néanmoins, lorsqu'il s‘agissait de mettre en pratique des résolutions concrètes, les communistes rétorquaient : qu'ils "n'étaient pas mandatés pour en discuter", que ces questions "étaient d'ailleurs sans importance", que tout allait s'arranger une fois les deux mouvements fusionnés." Tout au long des pourparlers, les communistes continuaient à s'en prendre, dans leurs tracts, aux officiers Tchetniks et à leurs chefs en disant "qu'une fois ces derniers exterminés tout allait rentrer dans l'ordre". Dans toute la région les communistes propageaient la même idée : l‘entente avec les Tchetniks était chose facile, il suffisait pour cela que les Tchetniks et les patriotes de tous bords se décident enfin à exterminer leurs officiers Tchetniks pour que tout aille mieux dans le meilleur des mondes.
Aux confins de la Bosnie Occidentale, de la Lika et de la Dalmatie la situation était tout à fait particulière. Les Dalmates sont des gens exubérants qui ont le sang chaud ; ils s‘échauffent et se refroidissent rapidement, aussi, passent-ils de manière inopinée d'un l'enthousiasme exalté et à un abattement profond. Insouciants et gais, ils supportent difficilement les vicissitudes des temps présents. De par leur émotivité excessive, tout les impressionne de manière exagérée, aussi, semblent-ils souvent se contredire, alors même qu'ils demeurent, au fond, logiques avec eux-mêmes. A mon arrivée à Split, par exemple, j'acquis l'impression que les gens souhaitaient que cesse la ”collaboration” avec les Italiens. Néanmoins lorsque je leur disais que j'étai venu pour cela et que les premières mesures dans ce sens étaient prises, ceux-là mêmes qui les avaient réclamées à mon prédécesseur se hâtèrent de me conseiller la prudence voire d'attendre un moment plus propice pour les appliquer. Il en allait de même pour les intellectuels que pour le gens du peuple. Aussi, les volontaires dalmates ne semblèrent t'ils pas être de fait aptes à faire la guerre.
Les Serbes de la Lika et de la Bosnie occidentale, par contre, habitués depuis des siècles au combat, font-ils d'excellents soldats. Pour leur malheur la Lika et la Bosnie Occidentale furent terriblement éprouvées par les massacres, incendies et exactions de toutes sortes perpétrés dès le début de la guerre par les Oustachis et que poursuivirent les Partisans communistes. Privées de leurs meilleurs fils, les contingents de ces provinces, qui de tout temps avaient engendré des braves, ressemblent aujourd'hui à ces pugilistes anémiés que d'incessants combats avaient épuisé. Les unités provenant de la Lika et de la Bosnie bien que manquant d'officiers s'étaient néanmoins bien battu. Décimées à plusieurs reprises, elles ne sont plus actuellement en état de fournir des efforts supplémentaires.
Ces troupes ont besoin d'un soutien moral et matériel à la fois. Si Mihajlovitch n‘arrivait pas le leurs procurer, la propagande communiste et leurs menaces pourraient rapidement être suivies d'effets et mettrait Djouitch dans une situation extrêmement difficile.
La Bosnie Orientale, elle aussi, avait été fortement éprouvée ; sa situation géographique et l'état de son économie sont néanmoins infiniment meilleurs. Les serbes de Serbie peuvent secourir plus facilement leurs compatriotes à l'ouest de la rivière Drina, et ils ne manquèrent pas de le faire. C‘est ce qui explique que les Bosniaques avaient pu poursuivre le combat à la fois contre les Allemands et les Oustachis à l'Ouest et contre les partisans communistes à l'Est. Du fait de la configuration du terrain, les Allemands subirent régulièrement de grosses pertes lors de leurs ”expéditions punitives” dans cette région où les Tchetniks restaient maîtres des forêts et des massifs montagneux tout en conservant le contrôle des voies accès et de communication. Qu‘il me soit permis de dire en passant que les hommes de la Bosnie Orientale eurent plus de mérites que n‘importe quelle autre partie de notre peuple ! Tout cela pourvu que, dans la région, soient conjurées les incursions des partisans communistes car les combats, pratiquement incessants, menés contre les troupes allemandes et les oustachis allaient fatalement finir par les user.

Aperçu général

Ce sont les considérations d'ordre militaires et de caractère général qui animaient Mihajlovitch lorsque, dès que notre défaite fut consommée, il ne déposa pas les armes et entra en résistance. Aussi, s'appliqua-t-il dès le début, à chaque apparition d‘un nouveau foyer de résistance, d‘intégrer les insurgés dans son "armée". Il considérait que l‘armée nationale : l‘armée yougoslave, pouvait et devait intégrer tous les citoyens yougoslaves, puisqu‘on recrutait les hommes non pas en fonction de leurs opinions politiques ou leur appartenance à un parti quelconque, mais selon leurs aptitudes physiques et mentales au combat. Si, par ailleurs, on demandait aux forces armées de l'insurrection d'atteindre des objectifs d'ordre politique ou économique ces derniers devraient être clairement désignés par les Alliés. Toute modification de la Constitution relève de la volonté populaire et ce n'est qu'une fois la guerre terminée que nous aurions à nous prononcer sur l'organisation politique du pays. Pour l'heure il s'agit essentiellement de faire en sorte que la volonté du peuple puisse être librement exprimée l'heure venue. Tant que durent les hostilités on ne doit s'occuper qu'à faire la guerre.
C‘est en appliquant ce principe premier, que Mihajlovitch avait planifié son organisation et conduit les opérations militaires. Il fallait, selon lui, procéder rapidement à la mise en place d‘une organisation territoriale couvrant toute l‘étendue du pays, permettant une mobilisation partielle de manière à ce qu'un certain nombre de combattants puisse immédiatement occuper le terrain, alors que d‘autres, facilement mobilisables, seraient appelés en fonction des circonstances. Ces derniers allaient simultanément travailler dans les champs et se charger du sabotage des objectifs qu'ils soient économiques ou militaires, en fonction du plan établi. La guérilla menée par les unités réparties dans les montagnes et dans les massifs forestiers allait être organisée de manière méthodique afin d'assurer le contrôle d'une partie du territoire national et être apte à constituer, à l'arrivée des Alliés, un front et les Arrières.
Au début, en juillet et en août 1941, nos objectifs étaient limités. Dans la Serbie l'action était cantonnée au territoire de la Choumadia, tenu par les Allemands. Cette action avait été déclenchée depuis les Massifs centraux dans la région du mont Rudnik d'où étaient parties les insurrections successives contre les Turcs menées par Karageorges puis le Prince Miloch au début du XIX e siècle. Les habitants de Topola et de Takovo étaient nos Vendéens. Suivant les ordres, lancés le jour venu par Mihajlovitch, la Choumadia devait se soulever et sonner l'alarme dans les régions voisines. Les unités de sabotage détruiraient les objectifs fixés et couperaient les voies de communications: les unités de choc devraient investir les garnisons allemandes et en confier la garde aux territoriaux. Les unités de combat et les unités de sapeurs-mineurs seraient dépêchées dans le nord en direction de la Save et le Danube et à l'ouest : vers la rivière Drina où des instructions leurs seraient communiquées.
Telles étaient les directives données à tous les commandants lorsqu'il furent envoyés dans les régions qui leurs furent assignées et dont l'organisation leur incombait. Le commandant de la région de Belgrade reçut des directives particulières concernant la capitale dont les éléments armés devaient demeurer dans la clandestinité en attendant le jour J.
Les détachements cantonnés à l‘Ouest, et une partie de ceux cantonnés dans le nord, avaient reçu des directives spécifiques concernant la Bosnie, l‘Herzégovine et la Slavonie, les opérations devant être menées en coordination avec les mouvements de résistance bosniaques que Mihajlovitch essaya d'intégrer à son plan d'action général.
Survenue de manière inopinée, la guerre civile avait rendu le plan de Mihajlovitch caduc.
Antérieurement à l‘entrée en scène des Partisans, Mihajlovitch tenait les monts de Suvobor (le siège de son Etat-Major étant à Ravna-Gora), de Maljen et de Rudnik. Il disposait d'unités isolés, disséminées dans les monts Jelica et Cemerno mais aussi dans la plaine de la Macva (la région de Šabac). Peu de temps après fut formé le détachement des monts Homolje (à l‘est de la rivière Morava) suivi par d'autres. Il convient de signaler que, dès le mois de mai, le Centre de la Choumadia ainsi que l'Ouest étaient contrôlés par les Tchetniks. Certes, ce contrôle fut au début, imparfait mais il devit effectif dès les mois de juin et de juillet 1941. A ce moment, le nom de Mihajlovitch était largement connu aussi bien dans l'ensemble de la Choumadia que dans la ville de Belgrade.

Durant cette période d'organisation de la Résistance nos objectifs militaires étaient limités. Ils consistaient à maintenir les Allemands dans leurs garnisons et à entraver la circulation de leurs convois tout en protégeant la population des alentours.
Ces deux objectifs furent pleinement atteints. Les Allemands, peu nombreux et repliés dans les agglomérations à ce moment, avaient suspendu leurs patrouilles dans le territoire que nous occupions. Lorsque je rejoignis Mihajlovitch, je ne rencontrais aucun soldat allemand entre Milanovac et Suvobor. J'avais rencontré à Beršitch, sur la grand route, une foule de gens en train d‘écouter l‘émission du soir de Radio-Londres devant un café. Après plusieurs revers sanglants subis par les compagnies de reconnaissance allemandes, l‘ennemi n‘osait plus se hasarder dans cette région, minuscule parcelle libérée de notre pays .
La grand route Valjevo-Milanovac, était interdite aux Allemands. Le commandant allemand de la place de Milanovac, véritable brute, terrorisait la population. Il prononçait des condamnations à mort, exposait les cadavres des suppliciés sur la voie publique pendant plusieurs jours, cravachait les vieillards qui refusaient de le saluer dans la rue ainsi que ceux qui ne se mettaient pas au garde-à-vous lors du salut au drapeau allemand etc. Un beau jour, une patrouille de Tchetniks approcha Milanovac et réussit à capturer 12 soldats allemands en train de faire une ronde. L‘officier commandant notre patrouille désarma les Allemands et les renvoya avec une lettre destinée au commandant de la place dans laquelle il menaçait de le tuer en pleine ville s‘il ne rapportait pas les mesures vexatoires qu‘il venait de promulguer à l'égard de la population. Le même jour dans la soirée, le commandant quitta la ville de Milanovac pour ne plus y revenir.
Bref, nous procédions d'une manière planifiée lorsque l'arrivée des Partisans communistes changea tout. Au lieu de mener la guerre de manière méthodique en fonction des objectifs stratégiques, ils commencèrent par mettre le feu aux villages serbes patriotiques et dévoués au mouvement Tchetnik, poursuivant un but purement politique. Les actions militaires ponctuelles menées par les Tchetniks en Serbie, dans la Macva, au mont Rudnik, à Kraljevo, à Pozega etc. sont parfaitement connues.
Lors de la conférence de Ravna-Gora Mihajlovitch fut surpris par l'étendue de l'ignorance des choses de la guerre de la part de Tito. Mihajlovitch croyait à cette époque que Tito allait se remettre à lui pour tout ce qui concernait les affaires militaires. C'était une illusion. En fait, Tito n‘était point ignorant en matière militaire, il poursuivait simplement d'autres objectifs : les opérations militaires allaient être subordonnées à la poursuite d'un projet révolutionnaire, auquel elles devraient fournir une couverture.
En 1941, après les défaites subies par les Partisans et par les Tchetniks, Mihajlovitch, grâce à la souplesse de son organisation, put démobiliser une partie de ses troupes sans que l'ennemi s'en aperçut. Il n'avait conservé qu'un petit nombre d'unités constituées en Serbie, le reste de ses combattants formèrent des détachements chargés du maintien de l'ordre et de la protection des personnes dans leurs circonscriptions respectives.
Tout au long de l'hiver nous nous tenions sur la défensive. A cette époque nos détachements, ainsi que l'ensemble de nos organisations, avaient terriblement souffert. Ils se dérobaient, contre-attaquaient, changeaient incessamment de position ; nous abandonnions une région pour une autre où nous nous réorganisions. Les Partisans n‘osaient pas démobiliser leurs effectifs de peur de les perdre pour toujours, aussi, préfèrent-ils les tenir en permanence sous le contrôle vigilant des commissaires politiques. Lorsqu'ils avaient évacué la Serbie ils n'y avaient laissé que des ”troïkas” et des “dizaines” constituées par des militants communistes endurcis. Partout où notre organisation était solidement implantée leur tâche principale consistait à démanteler nos réseaux, en y semant la désunion. C‘était, pour nous, une période sombre. Nous avions sur le dos, outre les Allemands qui emprisonnaient et internaient les meilleurs de nos capitaines et de nos adhérents dans les camps, les adeptes de Néditch et surtout les recrues de Liotich qui procédaient, à l'instar des communistes, à la persécution de nos adhérents qu'ils dénonçaient à l'ennemi ou qu'ils exécutaient. Ajoutez à cela une propagande subtile menée, d'une part, par Goebbels et d'autre part, par le "Komintern" vous arriverez à vous faire une idée des difficultés dans lesquelles nous travaillions. Nous arrivâmes néanmoins à former des équipes spécialisées dans le sabotage qui opéraient plus particulièrement dans l'Est et dans le Nord-Est du pays où ils faisaient sauter les trains, incendiaient les dépôts de l'ennemi et perturbaient la navigation. Dans la région centrale du pays les "coups de main" étaient continuels.
L'action menée dans la ville de Belgrade mériterait une étude à part. L'ampleur de l'activité souterraine et le dévouement de nos concitoyens des deux sexes ne méritent pas d'être traitée ici sommairement.
Durant l'année 1942, Mihajlovitch réussit à renforcer les détachements existants et en augmenta le nombre. Le corps du vaillant lieutenant Vuckovic à Takovo, celui du lieutenant Rakovic à Dragacevo et surtout celui du commandant Keserovic à Kruševac, sans oublier la brigade de Jankovic et le corps de ”Ilijevo”, continuèrent, tout au long de l'année 1942, de harceler l'ennemi.
Devant leur impuissance à enrayer notre activité, tellement étaient mobiles nos détachements, les Allemands procédèrent à des exécutions massives de civils. Le commandant Keserovic changea alors de tactique et s‘ingénia à faire des prisonniers aussi bien allemands que bulgares, qu'il se mit à exécuter en représailles. En novembre 1942 je me trouvais dans les monts de Gledic où on avait à faire, tous les jours, aux détachements aussi bien allemands que bulgares. Le général allemand, commandant la place de Krusevac, afficha sur les mûrs de la ville un avis dans lequel il était dit que, si Keserovic refusait de libérer les 89 prisonniers allemands, il exécuterait 100 otages serbes pour un allemand tué, que les exécutions allaient être poursuivies à intervalles réguliers et que le nombre des victimes irait croissant. La menace allemande ne fut pas exécutée dans son intégralité dès lors que Keserovic procéda, à son tour, à des exécutions de prisonniers allemands dans les mêmes proportions. Les Allemands finirent alors par traiter.
Je ne m'attarderai plus sur ce sujet presque inépuisable en particulier dans les régions, telle la Choumadia, où le sentiment national est très vif. Je dirai simplement, qu'après avoir rendu visite à de nombreux détachements Tchetniks en Serbie, mon impression avait été extrêmement favorable. L'activité prodigieuse de nos hommes, le courage de ces "nu-pieds", de ces "sans culottes" est admirable ainsi que l'est leur dévouement sans failles à la Patrie, à la personne du Général Mihajlovitch et à la cause des Alliés. Lorsque, au mois de mai de l'année en cours (1943), Mihajlovitch semblait avoir été mis personnellement en danger, la totalité des détachements Tchetniks de Serbie se proposa de lui venir en aide; deux détachements le rejoignirent sans en avoir préalablement demandé l'autorisation. J‘ai rencontré l'un de ces détachements. Plus de la moitié des hommes marchaient pieds nus.
Ainsi que je l'ai déjà observé, les Partisans constituent un mouvement de résistance à part qui avait été déclenché au moment de l‘entrée en guerre de la Russie. Ce sont les considérations de nature politiques qui avaient déterminé les communistes yougoslaves à constituer une force armée à part et en quelque sorte parallèle à la nôtre. Le mouvement de Petchanatz qui demeura en dissidence à l'égard du Général Mihajlovitc constitue un cas à part. Quelques détachements de faible importance, dits ”sauvages”, font encore au jour d‘aujourd'hui la guérilla pour leur propre compte sans être affiliés ni aux uns ni aux autres. Ce sont les Tchetniks de Korda dans le Sandzak, ceux de Bora Javorac dans le mont Golija, de Rokvic en Bosnie Occidentale qui se contentent de protéger et de défendre leurs propres demeures et ses environs immédiats.
La dissidence de Petchanatz, quoique fâcheuse, n‘avait pas eu des conséquences graves pour nous ; bon nombre des Tchetniks de Petchanatz l‘ayant abandonné pour rejoindre Mihajlovitch. C‘est la dissidence communiste qui fut et qui demeure nocive.
On sait qu‘en 1941, Mihajlovitch avait fait un arrangement avec les Partisans communistes et que cette alliance fut de courte durée. La cause principale qui séparait les Tchetniks des Partisans et qui continue à séparer les deux mouvements réside, avant tout, dans la divergence quant à la conception de l'Etat : les uns prônant l'instauration immédiate, au besoin par la force, d'un ordre économique et social nouveau et les autres préconisant, une fois la guerre gagnée, le rétablissement d'un Etat démocratique au terme d'élections libres au suffrage universel.
Mihajlovitch considère que le pouvoir dont il est investi concerne exclusivement les affaires militaires. Quoiqu’en dise la propagande et l‘opinion propagée dans le monde, l‘expérience de ces années de guerre a clairement démontré que l'objectif premier de la lute menée par les Partisans est la prise du pouvoir, la lutte contre l'envahisseur n'étant qu'un "à côté" qu'il convient d'exploiter au mieux pour atteindre ce but.
A chaque fois que les partisans communistes avaient engagé le combat contre l'ennemi commun en délaissant l'objectif politique, le succès fut au rendez-vous ; rien ne permettait alors de distinguer les Partisans des Tchetniks : nous étions tous unis. Aussi bien en Serbie, qu‘au Monténégro et ailleurs, le soulèvement fut général et le demeura tant que l'objectif principal demeura la lutte contre l‘ennemi. En anéantissant cette union afin de "bolchéviser" notre pays et ce en pleine guerre contre l'occupant national-socialiste, les dirigeants communistes ont commis un crime. Ainsi, dès qu‘un détachement nationaliste obtenait quelque succès dans la lutte contre l'ennemi et devenait populaire, les communistes suspendaient leurs opérations à l'encontre de l‘ennemi commun pour se tourner, sous un prétexte quelconque, contre le dit détachement. Le retrait des partisans communistes lors du siège de la ville de Kraljevo est à ce titre tout à fait caractéristique. Kraljevo avait cependant été investie par les Tchetniks et les Partisans luttant ensemble. Jaloux des succès remportés par les détachements commandés par Jovan Deroko, capitaine de grande valeur, les partisans l‘attaquèrent par surprise et le tuèrent à bout portant. Deroko était cependant un adepte convaincu de la collaboration entre Tchetniks et Partisans communistes.
A aucun moment les attaques et les actes de sabotage menés par les partisans communistes ne visaient les objectifs d'intérêt strictement militaire, à moins que ces derniers n'aient comme corollaire des sanctions à l'égard de la population civile. Plus grand sera le nombre de malheureux, moins il y aura de résistants à l'encontre de la soviétisation. Durant les onze mois pendant lesquels j‘étais établi dans la région de Belgrade, j'avais pu remarquer que les communistes s‘en prenaient systématiquement aux objectifs dont la destruction était susceptible d'entraîner les mesures de répression à l'égard de la population civile, tels les coups de feu tirés depuis une position embusquée proche d'une agglomération sur des soldats ennemis isolés, le sabotage des voies ferrées et des ponts à proximité des lieux habités etc. Disposant au plus d'une soixantaine d'hommes qui étaient dispersés dans Belgrade et ses environs, répartis dans les groupes de trois (les "troïkas") ou de dix combattants ("desetorka"), les partisans communistes ont pour mission principale d'éliminer les sympathisants du général Mihajlovitch et les notables locaux (maires, conseillers municipaux, agriculteurs nantis, "bourgeois" qui ayant perdus leurs emplois avaient été contraints de quitter les villes afin de subvenir aux besoins de leurs proches etc.) Leur but est de former des opposants, non point contre l‘ennemi, mais à l'encontre de l‘ordre politique et social d'un pays dont 99% de la population ne demande qu‘à combattre l‘ennemi. Les communistes éliminent, non point ceux qui pourraient contrarier leur lutte contre l'ennemi, mais ceux qui sont opposés à l'instauration par la force du système politique qu'ils préconisent.
A l‘appui de cette assertion je citerai l'exemple de la veuve d‘un colonel, mort durant la dernière guerre. Leur premier fils est prisonnier dans un camp allemand, le second rejoignit nos rangs pour combattre l'ennemi et le troisième croupit, depuis plus d'un an, dans les prisons de la Gestapo. Les communistes avaient envoyé une ”troïka” qui a égorgé cette dame âgée sous le motif que sa famille appartenait à la ”cinquième colonne”. Il me parait superflu de rapporter d'autres cas similaires.
Pour tous ceux qui ont suivi de près les événements sur le terrain, il est tout à fait clair que les sacrifices consentis par notre peuple sont disproportionnés par rapport aux résultats obtenus. Cela est dû au fait que les communistes ne voulaient pas que la lute contre l'ennemi soit notre but unique. Une étude impartiale des événements qui se sont déroulés en Serbie durant l'année 1941 et plus tard au Sandzak, au Monténégro, en Herzégovine et ailleurs, confirmerait, sans aucun doute, ce que je viens de dire.

Avant cette guerre et ce jusqu'au mois de septembre 1939, je me sentais proche des communistes et je fus d'ailleurs considéré comme tel par mes amis du Parti Républicain et du groupe des démocrates de gauche ”Napred". Exerçant la profession d'avocat, j‘avais assumé la défense de plus d‘un communiste devant le Tribunal d‘Exception qui siégeait à Belgrade. Il aurait été par conséquent naturel, qu'à l'heure actuelle, je participe à la lutte pour la libération dans le camp des Partisans communistes. Néanmoins, pas plus que moi, aucun membre de ces deux groupes, catalogués de gauche, n'avions rejoint les rangs de la résistance communistes, mais nous sommes tous ralliés au mouvement du général Mihajlovitch. Plusieurs raisons avaient motivé ce choix, dont la principale est d‘ordre moral. C‘est à peine s‘il est besoin de m‘expliquer sur ce point, tellement les événements du mois de septembre 1939 et l‘attitude ultérieure des communistes yougoslaves étaient contraires à nos convictions et à notre manière de voir les choses.
Etant complètement en accord avec Mihajlovitch sur les questions de politique, aussi bien intérieure qu'extérieure, l'ensemble de nos partis de gauche s'était rallié à lui. Cela ne veut nullement dire que les partis de droite s‘en étaient écartés. Il est non moins vrai que les partis politiques, toutes tendances confondues, avaient perdu de leur crédit depuis le début de cette guerre. Tous nous avions pris conscience qu'après la guerre s'imposeraient de profondes réformes, aussi bien dans le domaine économique que dans le domaine social. Les patriotes serbes ainsi que les Croates et les Slovènes pro-yougoslaves étaient favorables à Mihajlovitch. Les militants cléricaux croates et slovènes constituent, me semble t'il, un groupe à part qui attend l'issue de la guère avant de se prononcer.
J‘ai déjà eu l‘occasion d‘expliquer le point de vue de Mihajlovitch en matière de politique intérieure. Partisan convaincu du suffrage universel et de l'instauration des libertés garanties, il subordonne à la volonté du peuple yougoslave l'établissement de tout ordre politique, économique et social.
Son point de vue en matière de politique étrangère n‘est pas moins clair ni moins ferme : loyalisme à l'égard de l'ensemble de nos Alliés en réservant une place privilégiée à l'Angleterre. Ce dernier point demande à être éclairci. Le général Mihajlovitch était attaché à la France, comme l'étaient la plupart des Serbes. C'est en quelque sorte par son intermédiaire qu'il appris à connaître l'Angleterre pour laquelle, me disait-il, il éprouvait depuis toujours de l'admiration. Après la défaite de la France, ce sont les Anglais qui, avant de conquérir nos cœurs, s'étaient imposés à notre raison. Antérieurement à l'entrée en scène des partisans communistes cette anglophilie ne se manifestait pas de manière particulière.
Depuis, nos deux mouvements de résistance constituent deux options distinctes que les affrontements sanglants avaient rendu incompatibles. La propagande des deux partis, tendant à atténuer les divergences qui les opposaient, n'a fait qu'embrouiller l'esprit des populations et affermir les positions des deux camps. Ceux qui ne connaissent pas le général Mihajlovitch pourraient s'imaginer que son attachement à l'Angleterre n'était que circonstanciel et ce d'autant qu'il lui arrivait de critiquer la propagande menée par la radio anglaise et de se plaindre de l'insuffisance de l'aide fournie par les alliés. Rien ne serait plus inexact que d'en tirer des conclusions hâtives. Le général Mihajlovitch considère que l'Angleterre constitue le véritable bastion de la démocratie dans le monde et qu'à l'heure actuelle seule l'Angleterre a la capacité de préserver l'Europe du chaos et de l'anarchie en canalisant les passions et les révoltes déchaînées par cette longue guerre.
Outre cet attachement en quelque sorte idéologique, il est animé par un sentiment de reconnaissance et de fidélité. L'hiver dernier le général Mihajlovitch avait évoqué devant moi ses souvenirs du front de Salonique, où il gagna la Military Cross, en disant: ”Sans la flotte anglaise, le front de Salonique n‘aurait jamais tenu et sans le front de Salonique, il n‘y aurait pas eu de Yougoslavie. Par un jeu étrange du sort, l'avenir et l'existence même de la Yougoslavie se trouvent pour une seconde fois entre les mains de l‘Angleterre. Malgré tout, rien n‘est plus fort que l‘amitié”.
Jamais le mouvement des partisans communistes n‘aurait atteint son ampleur actuelle sans le soutien moral des Alliés. Si, ces derniers, qui au début avaient surévalué l‘importance de Mihajlovitch, s'étaient simplement contentés de le soutenir en proportion de ses mérites, le mouvement des partisans communistes aurait été réduit à ce qu'il représentait de fait. Jouissant du soutien moral des Alliés, le mouvement des partisans est, à l'heure actuelle, rejoint, outre par "les prolétaires" et les communistes, par des patriotes authentiques. C‘est, avant tout, la propagande et le soutien moral prodigués par les Alliés qui constituent les facteurs déterminants de l‘action de la Résistance dans les Balkans.
Peut-être ne serait-ce pas exagéré de prétendre qu'en l'absence de toute propagande venant de l'extérieur, il n‘y aurait pas eu de guerre civile chez nous. Je suis franchement convaincu que la propagande alliée ne se fonde pas sur une connaissance exacte des faits et que les responsables de cette propagande ne semblent pas conscients des conséquences désastreuses qu'elle entraîne pour notre pays. Les amis authentiques de l'ensemble des Alliés se sentent abandonnés alors que les partisans d‘un seul d'entre eux jouissent des faveurs de la totalité des Alliés.
Si les Alliés demeurent intimement unis tout au long de cette guerre et qu'ils le restent au moment où sera conclue la paix, la Yougoslavie accepterait les décisions la concernant quant bien même elle serait mécontente de son sort. Mais, s‘il en allait autrement et que le communisme devienne un facteur déterminant en Yougoslavie, un seul des alliés en tirerait tout le profit. Le pays tout entier pourrait alors être taxé d‘ingratitude, quand bien même il serait représenté par une minorité et ce de manière exclusive.
J‘ai pu me rendre compte pendant ces années de guerre, de l'importance que tient la propagande dans les mouvements des masses. Je me souviens de l‘époque où, personnalité à la mode, Mihajlovitch fut encensé par une propagande outrancière qui n'était guerre appréciée par l'intéressé pas plus qu'elle ne l'avait été par ses adeptes. Je me trouvai à ce moment dans la région belgradoise où l'organisation de Mihajlovitch n'était pas encore implantée. A l'époque la Radio-Londres ne tarissait pas d'éloges à son égard au point que, dans l'enthousiasme général, notre gouvernement le promut général et ministre de surcroît. Certains ministres et hauts fonctionnaires de Neditch trouvèrent moyen de m‘offrir leurs services par personne interposées. Je n‘eus besoin d‘aucun argument pour attirer à moi ces gens, la Radio de Londres travaillait pour nous. Bon nombre de paysans de la Choumadia qui, lors de la première vague de soulèvement populaire de 1941 rejoignirent les partisans communistes, changèrent à ce moment de bord et passèrent à Mihajlovitch. Ils nous ont appris que les Partisans avaient fini par interdire l'écoute des émissions radiophoniques de Londres et que seuls les bulletins rédigés par leurs services étaient autorisés.
Ne connaissant pas les hommes qui avaient "collaboré" avec les Italiens et n'étant pas au fait de la situation dans le pays, certaines personnes haut-placées issues de notre émigration, m'avaient demandé un jour si, véritablement, nous pouvions compter sur le dévouement de ces gens à l'égard de Mihajlovitch. C'était là une question que les intéressés auraient prise pour une injure aggravant encore un peu plus leur sort ingrat. Il est difficile, par exemple, d'imaginer la détresse morale d'un Djouitch. J'ai vu cet homme en pleurs lorsqu'il me fit part des accusations dont il était l'objet et c'était cependant un héros. N'importe lequel de ces "collaborateurs" n'aurait pas demandé mieux que de pouvoir rompre la "collaboration" avec les Italiens. Dépourvu du moindre secours venant de l'extérieur, ils étaient simplement dans l'impossibilité de le faire. Il faut se rendre compte qu'une rupture prématurée de l'aide fournie par les Italiens signifiait, outre le massacre d'un grand nombre de réfugiés, l'anéantissement de nos détachements qui avaient sur le dos les partisans communistes et les Oustachis croates. Avant d'ordonner la rupture avec les Italiens, le général Mihajlovitch aurait dû fournir à ces gens une aide à la fois matérielle et morale. La "collaboration" résultait des exactions commises aussi bien par les partisans communistes que par les oustachis et de leurs conséquences aussi bien matérielles que morales sur la population. Des renforts en hommes assurant un minimum de sécurité et d‘indépendance à ces malheureux auraient été un moyen efficace pour les affranchir de leur dépendance à l'égard des Italiens. D'ailleurs ce problème ne s‘est posé que pour les régions dites ”passives” qui, de toutes les façons, avaient besoin d‘être secourues. Mihajlovitch manquait d‘argent, d‘armes, de munitions et de matériel de toute sorte. Il ne pouvait, en conséquence, que tolérer cette situation dans l'espoir d'obtenir un jour les moyens suffisants lui permettant d'affranchir ces régions de la “collaboration” avec les Italiens.
Peut-être serait-il utile de dire quelques mots sur la personnalité du Général Mihajlovitch.
Les traits marquants de son caractère sont les suivants: droiture, courage, honnêteté, opiniâtreté et bonté. Il est modeste, son attitude est naturelle, sa mise plutôt négligée et sa table frugale ce dont se plaignent souvent ses commensaux. Excellent camarade, sa nature est franche ce qui peut heurter certains. Ceux qui fréquemment l'approchent et arrivent à bien le connaître l‘estiment et acquièrent de l'affection pour lui. Dépourvu de vanité, c'est avec une certaine timidité qu‘il avait accepté les honneurs qui lui furent décernés. Son sens de responsabilité est développé au plus haut degré.
La bonté en quelque sorte naturelle constitue le point faible de sa personnalité, ce qui en cette période de guerre révolutionnaire constitue, sinon un défaut, au minimum un handicap. C'est avec beaucoup de difficulté qu'il arrivait à prononcer la peine capitale ou décider de punir un subordonné coupable. Il était incapable de tout acte de vengeance personnelle. Même si dans son for intérieur il désapprouvait l‘acte d‘un subordonné, il n‘hésitai jamais à en endosser personnellement la responsabilité à condition que l'acte ait été inspiré par un motif patriotique.
La personne du jeune Roi tient une place considérable auprès des adhérents du mouvement Mihajlovitch. Ayant, tout jeune, perdu son père dans des conditions tragiques, le futur PIerre II jouissait d'emblée de la faveur de ses sujets. Entré en scène le 27 mars 1941, il jouit d'emblée d'une affection sans bornes de la population car c‘est en son nom que fut rejeté le pacte germano-yougoslave. Après la défaite, c‘est lui qui est allé défendre la cause de son pays à Londres. Jusqu‘à l‘avènement de Mihajlovitch, il représentait l'unique espoir de son pays. Lorsque Mihajlovitch reprit au nom du roi la lutte contre l'ennemi en arborant sur son képi l'aigle blanc bicéphale qui constitue l‘emblème royal adopté par les Tchetniks le pays unanime se souleva. L'émotion populaire fut si forte que les communistes tout en affichant leurs visées politiques, n‘osèrent jamais s'en prendre à la personne du Roi. Les républicains ralliés à Mihajlovitch furent surpris de constater à quel point était puissant le sentiment monarchique dans le pays. Dans les campagnes serbes on chanta la rengaine :

Petit Pierre notre pomme-d‘or,
C‘est à Churchill que ta garde a été confiée
C‘est toi, petit Pierre que Draza adore,
Et c‘est pour Ton retour
Que le peuple prie le Bon Dieu

Si l‘on me demandait "comment faire pour s'en sortir" (je pense à la guerre civile), il me faudrait, au préalable, connaître les souhaits des Alliés ainsi que leurs projets à l‘égard de la Yougoslavie et des Balkans en général. La guerre civile résulte, avant tout, du fait que la guerre contre l‘Allemagne national-socialiste est menée à la fois par les Démocraties anglo-saxonnes et par l‘U.R.S.S. Or, l‘U.R.S.S. demeure malgré la dissolution du Komintern, l‘inspirateur d'une révolution mondiale et soutient tout mouvement, telle l‘action partisane yougoslave, dont c'est le but. L‘esprit international est une chose et l'Internationale communiste en est une autre. Nos Alliés anglo-saxons sont imbus d'un sentiment et d'un esprit international et c‘est le même esprit qui anime l'action du Général Mihajlovitch qui considère que la Démocratie doit être organisée sur une base universelle et qu'elle doit reposer sur une collaboration étroite de toutes les Nations libres. Les communistes ont, en vérité, des visées plus modeste et semblent, pour l'heure, limiter leurs efforts pour les concentrer sur les Etats dont la désagrégation est suffisamment avancée pour pouvoir espérer les intégrer à l'URSS.
D‘aucuns pensent que le mieux serait que les Alliés se déclarent catégoriquement pour l'un de nos deux mouvements de Résistance qui serait le seul à être puissamment soutenu. Je ne suis pas convaincu qu‘une solution de ce type mettrait fin à la guerre civile. Le parti sacrifié ne désarmerait pas et chercherait un appui ailleurs.
On pourrait aussi imaginer, une délimitation des sphères d‘action, qui permettrait de concentrer les efforts des forces de résistance yougoslaves contre l'ennemi extérieur. Néanmoins il est à craindre que la question croate ne vienne, en ce cas, accroître les difficultés existantes, ce qui n'est guère souhaitable tant que durent les hostilités. Il ne faut pas oublier que certains milieux croates ont par trop tendance à présenter le mouvement du Général Mihajlovitch comme étant "pan-serbe" alors que l‘action des Partisans est sensée les protéger de l‘hégémonie serbe qu'ils redoutent.
Il est d‘autres considérations que l'on pourrait examiner avant de prendre une décision quant à la délimitation des sphères d'action, ceci dans l'éventualité où ce procédé serait adopté pour mettre fin à la lutte fratricide. Dans ce cas, la délimitation des sphères d‘actions devrait tenir compte de l'idée que l'on se fait de la Yougoslavie fédérale de demain. Il est néanmoins évident que jamais les Serbes qui occupent les forêts de Bosnie et de l‘Herzégovine, n'accepteraient de déposer les armes si ces deux provinces, théâtre de massacres sanglants perpétrés par les Oustachis croates, ne faisaient pas partie de la sphère attribuée aux Serbes. Quant à la Dalmatie, que je crois bien connaître, il ne faudrait la faire entrer dans aucune des deux sphères d'action, la constitution des deux partis locaux étant par trop fluctuante selon les circonstances. Lors de mon séjour à Split on m‘avait maintes fois répété que l'arrivée d'une armée alliée qui mettrait fin aux divisions serait saluée, sans distinctions, par tout le monde.
Ce qui est souhaitable, avant toute chose, c‘est que l'on fournisse aux Serbes, dont les sacrifices furent énormes le soutien moral qu'ils sont en droit d'attendre. Leurs ressources morales sont considérables, mais il ne faudrait pas en abuser. A l'heure actuelle ils se sentent de plus en plus seuls et isolés alors que leur fidélité à la cause alliée est demeurée intacte et que celle des autres partis est toute relative et le restera.

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Ce site contient des données factuelles et la documentation rassemblées par le lieutenant-colonel Mladen Zujovic (1895-1969) combattant des deux guerres mondiales, docteur en droit, avocat belgradois, l‘un des organisateurs du Mouvement de Résistance Nationale du général Dragoljub–Draza Mihailovic dont il fut, par la suite, le délégué auprès du gouvernement yougoslave en exil au Caire (1943–1944) et à Paris (1944–1946).